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La sous-représentation des femmes dans les conseils d’administration est un sujet très à la mode. Voilà de nombreux mois que les milieux académiques, politiques et le secteur privé s’animent pour plaider l’urgence de corriger cette situation. Mais les moyens concrets pour y parvenir sont plus rares dans le discours ambiant. Raison pour laquelle le réseau Career Women’s Forum, fondé à Genève en 1982, avec pour but de valoriser le rôle et le statut des femmes dans la vie active, a inauguré lundi soir un cycle de rendez-vous baptisé «Come on Board». Objectif: partager, via le témoignage de pionnières devenues influentes, les tactiques pour accéder à des postes d’administratrices. Petit vade-mecum, également utile pour les candidats masculins.

Le filon des fonds de pension

«Tout le monde parle aujourd’hui, rapports à l’appui, de l’utilité d’intégrer les femmes. Je vous encourage à surfer sur cette vague de soutiens», résume Gina Empson, fondatrice de la fiduciaire genevoise The Business Harbour et membre de plusieurs conseils d’administration (BCGE, Bruellan, etc.). Face à elle, une cinquantaine de professionnelles sensibles à l’argument du moment, idéal pour mettre son pied à l’étrier. En effet, moins d’une dizaine d’entre elles siègent déjà dans un conseil d’administration.

«Pour accéder à un poste d’administratrice, il faut faire travailler votre réseau. Beaucoup», préconise Gina Empson, qui a décroché son siège chez Bruellan via le gendarme suisse des marchés financiers, ayant à l’époque exigé de l’établissement qu’il diversifie son conseil. Le fait qu’Anne Hornung-Soukup – présidente des Transports publics genevois – y occupe des fonctions dirigeantes a aussi aidé.

«Mais la voie accélérée la plus efficace, c’est de viser les fonds de pension, dont les structures de gouvernance sont composées à moitié d’affiliés. Il faut simplement oser lever le doigt», signale l’entrepreneure. Qu’en est-il de la difficulté d’associer vie privée et professionnelle, frein traditionnel aux profils féminins? «Rejoindre un conseil d’administration, après une grossesse, c’est au contraire idéal, vu qu’il s’agit d’un poste à temps partiel, estime-t-elle. Cela permet de rester active, visible, tout en continuant à humer l’économie. Au bout du compte, votre CV reste totalement crédible pour une réinsertion post-maternité.»

Rejet des femmes trop zélées

Michèle Costafrolaz, fondatrice de MCT Audit & Advisory à Genève, est également administratrice en série. «J’ai rejoint mon premier «board» grâce à mon réseau Deloitte. Avoir travaillé pour l’un des quatre géants mondiaux de la révision comptable est un sérieux atout», relève-t-elle. Expérience, intellect, réseau de connaissances et sensibilité personnelle sont censés faire le reste. «Le volume de travail d’administratrice est très variable, il faut s’y préparer», prévient-elle. Tout aussi important: apprendre à laisser son ego de côté. «Le réflexe en tant que minorité féminine, est de marquer à tout prix des points, d’avoir quelque chose à dire», indique-t-elle. Ce genre de comportement, gage de professionnalisme, peut agacer à la longue. «Je vous conseille de ne pas attendre les plénières pour faire valoir un point de vue contradictoire, mais de recourir au lobbying en amont afin de ne pas ralentir la dynamique du conseil, ce qui risque de susciter le rejet», confie-t-elle.

Savoir interpréter un bilan est une qualité incontournable pour une administratrice. Etre de nationalité suisse peut aussi grandement favoriser l’accession à ce type de rôle.

Tactique du volontariat

Beth Krasna, redresseuse d’entreprises, est membre indépendante des conseils de Coop, d’Alcosuisse, de Raymond Weil et de Symbiotics. Ingénieure en génie chimique, elle est également présidente du Comité d’audit des Ecoles polytechniques fédérales, membre des Conseils de fondation de l’IHEID à Genève et de l’Académie suisse des sciences techniques. «Lors de la libéralisation de Swisscom, il était question d’une gouvernance moderne, basée sur les compétences plutôt qu’une répartition géographique», raconte celle qui a occupé des fonctions dirigeantes dans plusieurs multinationales. Seul hic, le Conseil fédéral de l’époque tenait absolument à nommer un membre d’origine tessinoise.

Le dossier de Beth Krasna, appuyé par un chasseur de têtes, passe à la trappe. «J’avais pourtant fait tout juste, avec un parcours brillant, notamment en Suisse allemande, déplore-t-elle. J’ai compris avec amertume que sans lien local soutenu, on finit par s’éloigner du circuit des grands conseils.»

Pour remonter en selle, Beth Krasna accepte des mandats non rémunérés tous azimuts: fondation en faveur de l’art chorégraphique, conseil académique de l’Université de Lausanne, conseil stratégique pour la promotion économique genevoise, etc. Son réseau se densifie. Elle se met aussi à distribuer des cartes de vœux pour Noël. «Je n’ai eu qu’un seul retour», se souvient-elle. Mais le drapeau était planté. Rapidement, on la rappelle pour lui proposer un siège aux CFF. De nombreux autres mandats suivront. «Mon conseil, c’est d’aller voir les gens, tenter des expériences non payées, exiger des responsabilités et travailler vos techniques d’influence, pour acquérir de l’expérience et se forger une réputation en vue de postes lucratifs», conclut-elle, sous les applaudissements.

Le carnet de la diversité

Dans les années 1960, Lisa Parenti était surnommée la «sorte d’Américaine». «Comme pour souligner mon côté atypique pour l’époque: enfant de culture bilingue, fille de parents divorcés, dont l’un n’était pas catholique», confie celle qui a grandi à Florence et qui a depuis fondé Parenti Design à Carouge, devenant par la suite administratrice de la Cave de Genève et de MVT Architectes. Elle gardera de ses jeunes années une compréhension émue du mot «diversité». «J’ai rejoint en 2011 le «board» de la Cave de Genève, où j’ai beaucoup écouté et bu du vin», relève-t-elle. Au fil du temps, elle réalise qu’elle est la seule à se demander ce qu’elle fait là. «Mais le fait de me sentir le mouton noir, comme durant mon enfance, ne semblait déranger personne d’autre», précise-t-elle. La raison: tout le monde autour d’elle mettait l’accent sur les techniques de vinification. «Ma valeur ajoutée potentielle m’a tout à coup sauté aux yeux. J’ai fini par redéfinir l’image de la Cave, pour que la marque retrouve une cohérence», conclut-elle. Moralité: il ne faut jamais rougir de ses différences, mais au contraire les exploiter au maximum.

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