Un an après son lancement, voilà qu'arrive en Suisse le fameux Google Stadia. Nous avons testé ce service de cloud gaming souvent qualifié de manière abusive de «Netflix du jeu vidéo» car offrant l'accès à un vaste catalogue de jeux contre l'acquittement d'un abonnement mensuel.

Nous écrivions l'an dernier, lorsque Google dévoila ses velléités vidéoludiques, que la firme faisait «le pari d’une technologie immature». Après avoir testé Stadia durant deux semaines, ce constat se confirme. Google donne un aperçu de l'avenir du jeu vidéo tel qu'il le conçoit, c'est-à-dire un loisir libéré du carcan du matériel et de l'écosystème qui l'accompagne, qui suit le joueur partout sans se limiter au salon, et qui touche enfin un bien plus large public. Une belle promesse, mais dont nous sommes encore loin dans les faits.

Stadia est un service de cloud gaming. Exit les consoles et les PC, il suffit d'un écran. Smartphone, téléviseur, tablette, et même un vieux laptop poussiéreux: nous avons testé Stadia sur à peu près tous les supports que nous avions sous la main, avec succès. Quelle joie de voir ainsi des appareils désuets retrouver une seconde jeunesse en faisant tourner des jeux dernier cri!

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Pour y parvenir, Stadia a recours au streaming. On se connecte à de puissants serveurs qui s'occupent d'exécuter les jeux et d'envoyer vers l'écran les images en streaming, un peu comme une vidéo YouTube, l'interactivité en plus. Le nerf de la guerre, évidemment, c'est la connexion internet qui doit impérativement être solide et fiable. Une connexion filaire de 20 Mbps nous semble indispensable. En Wi-Fi ou en 4G, il faudra s'attendre à d'importants désagréments (saccades, latence élevée), avec un résultat qui dépendra fortement d'une connexion à une autre. 

Deux offres, gratuite et payante

Stadia existe en deux formules qui se différencient par le prix, la qualité d'image, et le catalogue de jeux. La première est gratuite... et basique, forcément. Aucun jeu n'est fourni d'office, il faut payer chaque titre sur le Stadia Store, même si on les possède déjà sur d'autres plateformes. A la louche, une centaine - seulement - sont à la vente, au tarif habituel (69 francs pour le dernier blockbuster Cyberpunk 2077), et les rares rabais proposés sont bien plus timides que ceux trouvés sur les autres boutiques telles que Steam. Une fois «achetés», vous ne possédez pas les fichiers du jeu, mais disposez d'une licence pour les utiliser sur Stadia. Enfin, la qualité du flux vidéo se limite à du 720p (HD Ready) et 1080p (Full HD), en 60 images par seconde (FPS). 

Baptisée Stadia Pro, l'offre payante, 11 francs par mois, se veut plus premium. Une trentaine de jeux du catalogue passent alors en gratuit. Le reste demeure payant, mais l'offre Pro octroie quelques rabais plus intéressants: Watch Dogs 2 passe ainsi de 55 à 22 francs. Stadia Pro débloque également le streaming en Ultra haute définition ou 4K, adapté aux téléviseurs récents. Google promet des jeux en 4K et 60 FPS, mais en pratique, la fluidité et la qualité d'image s'avèrent très aléatoires, même avec une excellente connexion. On préférera, en l'état, jouer en Full HD, plus convaincant. Stadia Pro inclut aussi le son multicanal 5.1 et la compatibilité HDR.

On recherche: la recherche

Une fois l'abonnement souscrit, nous avons été frappés par la simplicité d'utilisation de Stadia. On se connecte par exemple sur son appli Android (la version iOS est prévue pour le mois de décembre), on choisit un jeu - tiens, l'excellent Orcs Must Die! 3, disponible en exclusivité sur la plateforme - et celui-ci se lance, sans autre formalité. Pas de téléchargement, pas d'installation sur un disque, pas de paramétrage, rien, si ce n'est du pur plug and play. Le processus est tout aussi fluide sur TV ou sur le navigateur Google Chrome. Sur ce point, Stadia fait mieux que la concurrence. 

Revers de la médaille, cette simplification a parfois été poussée un peu loin. Dans le Store, les informations sur les jeux sont insuffisantes. Quelques captures d'écran, trois lignes de description absconses, pas de commentaire de joueur, ni d'information détaillée. Bref, rien de très encourageant pour pousser à l'achat. Plus inquiétant, le Stadia Store ne dispose d'aucun moteur de recherche. Vous avez bien lu: il faut chercher les jeux dans des listes. Le géant mondial de la recherche sur internet n'a pas jugé bon d'intégrer un moteur de recherche dans son catalogue de jeux vidéo. Il faut se le répéter plusieurs fois pour le croire.

Les jeux ont également été épurés de la plupart de leurs réglages. On peut comprendre que bon nombre d'utilisateurs lambda s'en fichent, mais cela risque de désintéresser la communauté PC notamment, qui tient à pouvoir façonner sa propre expérience de jeu. Pour beaucoup, un bon jeu fourmille de réglages, graphiques notamment, avec lesquels s'amuser. Ce genre de décision suggère que Stadia ne s'adresse plus aux hardcore gamers, comme on avait pu le penser lors de la présentation de Stadia, mais à un public moins averti.

Stadia sur ordinateur

C'est l'option la plus simple. Un ordinateur, Mac ou PC, un navigateur internet (Chrome ou apparenté) et le tour est joué. Les contrôles se font via le bon vieux combo clavier et souris, ou bien à l'aide d'une manette déjà en votre possession. C'est selon nous le scénario idéal pour essayer Stadia sans investir dans du matériel. Et aussi pour jouer en douce depuis votre lieu de travail, à vos risques et périls. A noter, Stadia ne permet pas (plus?) de jouer en 1440p, une définition populaire de bon nombre de moniteurs. Il faut se rabattre sur du Full HD, avec une nécessaire mise à l'échelle qui dégrade la qualité d'image. Frustrant! 

Stadia sur smartphone

Pour l'instant seuls certains téléphones sous Android sont compatibles. Un flagship Samsung ou One Plus sorti ces dernières années fera l'affaire, tout comme la série Pixel. Google nous a confirmé la sortie imminente de Stadia sur iPhone. C'est depuis l'application Stadia qu'on lance les jeux, en choisissant de les lancer sur le téléphone ou bien sur sa télé. Il est possible de jouer avec l'écran tactile, mais c'est insupportable, évidemment. Heureusement, on peut connecter des manettes en bluetooth, celle de la Playstation 4 par exemple (la DualSense de la PlayStation 5 n'est pour l'heure pas reconnue) ou de la Xbox. Et bien sûr, la Manette Stadia.

C'est sur smartphone que l'expérience Stadia nous a le plus convaincu. Taille de l'écran oblige, les légers défauts visuels passent inaperçus. Et quel plaisir de retrouver Assassin's Creed, Hitman ou Borderlands sur son téléphone! Le jeu vidéo nous suit partout, c'est là un des points forts du cloud gaming, la simplicité et l'efficacité de Stadia incitant, surement d'avantage que chez la coincurrence, à sortir son smartphone pour une petite partie. Une fois la 5G déployée, nul doute que ce cas de figure sera encore plus intéressant.

Stadia sur téléviseur

Sur la télé, Stadia nécessite un Chromecast Ultra (les anciens modèles de Chromecast sont incompatibles). Etrangement, les téléviseurs fonctionnant avec le système d'exploitation Android TV ne possèdent pas d'application Stadia, un an après l'apparition du service. Nous n'avons pas mieux compris que vous pourquoi, les voies du seigneur Google étant impénétrables... Il faudra donc s'acquitter du petit gadget, vendu 39 francs, si l'on veut utiliser Stadia sur sa télé. Et aussi de la Manette Stadia (79 francs), car à la différence des deux autres écrans sus-mentionnés, le Chromecast ne reconnaît que ce contrôleur.

Utiliser Stadia sur TV est donc l'option la plus onéreuse. Fait à souligner, manette et Chromecast sont vendus en pack, le Stadia Premiere Edition, à 119 francs. Google n'a certainement pas besoin de nous pour lui faire de la publicité, mais l'information est importante: ce pack est gratuit jusqu'au 17 décembre, pour l'achat de Cyberpunk 2077. Une excellente affaire, et aussi le signe que Google est bien décidé à faire grossir sa base d'utilisateurs.

La Manette Stadia est étonnamment bonne. Le revêtement est agréable au toucher, les boutons réactifs et les sticks précis. Seules les gâchettes font raler: elles nous ont semblé bien trop molles, avec une course bien trop longue. La manette se connecte en WiFi directement aux serveurs Stadia, afin d'assurer une meilleure réactivité et un input lag - le décalage entre la commande et son exécution à l'écran - minimal. Passer du smartphone au téléviseur nécessite d'entrer un code pour appairer la manette au bon appareil, une manipulation simple mais parfois capricieuse.

Une compression excessive

En séance de jeu - pardon, de travail - les commandes se sont révélées réactives et les jeux fluides à souhait, à 60 FPS voire plus d'après nos estimations faites en 1080p. On peut toutefois regretter, sur PC et TV, une image un peu dégradée par rapport à ce qui se fait avec nos machines habituelles. Les contours manquent de netteté, la palette de couleurs est vraisemblablement réduite, les textures moins détaillées. De manière générale, nous avons jugé les jeux Stadia un peu tristounets, comme recouverts d'un filtre terne. Nous avons notamment comparé Assassin's Creed Valhalla sur Xbox Series X, PlayStation 5 et Stadia: le résultat est meilleur sur console, mais Stadia ne s'en tire pas si mal (voir les diverses captures d'écran en fin d'article).

Google a visiblement opté pour une compression agressive du flux vidéo afin de garantir un fonctionnement stable en toutes circonstances. Compréhensible, mais il demeure décevant que le flux ne semble pas profiter d'une plus large bande passante. Autrement résumé, vous aurez beau disposer de gros tuyaux, c'est toujours le même mince filet d'eau qui coulera dedans. Comme précisé ci-dessus, ce point ne s'applique pas sur smartphone.

Ces quelques désagréments ne gâchent toutefois pas l'expérience, car il faut l'avouer, Stadia fonctionne à merveille. Nous n'avons rencontré de problèmes liés à la connexion qu'une seule fois, avec des saccades et un son haché. La simplicité de l'interface, la rapidité à rentrer dans une partie font vite oublier ces quelques pixels disgrâcieux.

Des innovations expérimentales

Stadia intègre de surcroît de réelles innovations dans certains jeux. Citons Stream Connect, qui a de quoi bouleverser le jeu en coopération. On appuie sur une touche, apparaît alors instantanément une fenêtre du jeu de notre partenaire dans un coin de l'écran. Epoustouflant.

Puisqu'il est aujourd'hui à la mode de diffuser ses parties sur internet, Google a tout juste intégré une fonction permettant de le faire d'un simple clic, via YouTube. Les apprentis streamers apprécieront. D'autres fonctions sont en cours d'élaboration, telles que la possibilité pour un streamer de faire voter ses spectateurs parmi plusieurs choix disponibles (Crowd Choice), ou la possibilité de retrouver ses jeux exactement au point où l'on les avait laissés, sans avoir à tout recharger à chaque fois (State Share). La Xbox Series X propose déjà ce dernier point, et de manière brillante, comme nous l'avions signalé dans notre test. A noter toutefois, que ces options doivent être intégrées pour chaque jeu, ce qui risque de prendre un certain temps à les démocratiser aurpès des développeurs.

Bestiole bicéphale

Le tour du propriétaire effectué, reste à discuter de l'expérience en elle-même. Stadia nous a fait passer de bons moments, mais nous aussi a horriblement déçus sur certains points. Impossible de se départir de cet arrière-goût de produit immature, une sensation d'autant plus énervante que ce n'est pas vraiment la technique qui est en cause, comme on aurait pu le craindre, mais la partie logicielle, ce qui semblait largement à la portée d'une entreprise telle que Google. En ce sens, Stadia rappelle Google Music, dont l'interface était à des années-lumière de celle de Spotify, et qui a fini par rejoindre le cimetière des applis Google. 

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Sur le plan logiciel Stadia est une bestiole bicéphale, capable du meilleur comme du pire. Exemple, Google a fort bien travaillé la simplicité de son outil, qu'on sent réfléchie et adaptée au plus grand nombre, y compris aux joueurs les plus occasionnels. Mais pourquoi diable tout gâcher en la privant d'une fonction de recherche? L'autre faiblesse de Stadia, c'est sans conteste son catalogue maigrelet. Une centaine de jeux, dont une partie relativement inintéressants, c'est trop peu. Google assure travailler avec les gros éditeurs (Electronic Arts devrait bientôt signer), mais il n'empêche que la plupart des titres qui cartonnent sont absents de cette plateforme. Comme le dit l'adage, on n'attire pas les mouches avec du vinaigre.

On ne sait donc trop sur quel pied danser. Un produit simple, mais sans barre de recherche. Une formule par abonnement, mais où il faut quand même payer des jeux. Peu nombreux, qui plus est. Une offre claire, sans matériel requis, mais qui semble au final moins complète - certes moins chère - qu'une console de jeux sortie de son carton. 

Une autre frustration vient de l'imperméabilité entre Stadia et le reste des écosystèmes commerciaux. Impossible de jouer au même jeu que vos amis s'ils ne sont pas eux aussi sur Stadia. Si Stadia permettait de retrouver sa bibliothèque Steam ou Blizzard existante, à l'instar de ce que proposent ses concurrents Nvidia et Shadow, l'abonnement deviendrait une évidence pour bon nombre de joueurs. Un aperçu nous en est donné avec Assassin's Creed Valhalla. Ubisoft a eu l'excellente idée d'héberger les sauvegardes dans le cloud. Ainsi, que l'on joue sur PC, Xbox ou Stadia, on ne perd jamais sa progression. Si vous voulez mon avis, c'est là que se situe l'avenir des jeux vidéo, un paysage sans ces silos agaçants qui font qu'une fois sa paroisse choisie, passer sur une autre plateforme implique de repasser à la caisse, et de recommencer tous ses jeux.

Casual gamers

Mais cela, nous l'entendons, intéresserait surtout les joueurs confirmés disposant déjà de nombreux titres. Or Stadia ne semble pas privilégier ce public, penchant plutôt vers les joueurs occasionnels ou qui s'ignorent. Le pari a du sens: c'est ce genre de public vierge que lorgnent aussi les éditeurs. Pour ces derniers, Stadia constitue une belle opportunité de trouver de nouveaux leviers de croissance. Pas de console à acheter, de disques à ranger, de réglages compliqués ou de bugs à résoudre, rien d'intimidant pour décourager les velléités ludiques: Stadia est de fait un outil parfait pour les casual gamers

Reste à voir ce que deviendra Stadia à l'avenir, car il ne fait aucun doute que la plateforme va encore beaucoup évoluer. Nous continuerons à suivre les évolutions de près, car avec le cloud gaming, l'industrie du jeu vidéo est sans conteste à la veille d'un important changement de paradigme. En attendant, on ne peut que conseiller de se faire sa propre opinion avec le premier mois offert.