Aymo Brunetti: «Tout repose sur le personnel soignant, pas sur la finance»
Conjoncture
Pour le professeur Aymo Brunetti, les économistes ou les financiers sont impuissants à relancer l’économie. La priorité consiste à limiter le plus possible le nombre de personnes infectées par le Covid-19

Ancien chef des Etudes conjoncturelles au Seco, puis conseiller du Conseil fédéral, Aymo Brunetti avait en 2014 proposé à la Suisse d’adopter l’échange automatique d’informations fiscales et le renforcement de la capitalisation des banques. Professeur d’économie à l’Université de Berne, il commente les décisions économiques et financières prises ces jours en Suisse et dans le monde pour soutenir l’économie face aux conséquences du coronavirus.
Le Temps: A quel point êtes-vous inquiet pour l’économie suisse?
Aymo Brunetti: Notre pays a un grand nombre des PME qui doivent supporter des dépenses sans encaisser de revenus. Nous devons éviter un grand nombre de faillites, plus particulièrement d’entreprises qui, en temps normal, sont fondamentalement saines. Le Conseil fédéral a annoncé un fonds d’aide à hauteur de 10 milliards de francs comme premier pas avant tout basé sur l’instrument de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. Il a déjà signalé vouloir faire plus. Des annonces sont attendues vendredi.
Que peut faire la Banque nationale suisse?
Lors de la crise financière de 2008, les banques centrales étaient aux commandes. Ce n’est pas le cas cette fois-ci. Nous sommes dans une crise de l’économie réelle qui peut toutefois contaminer le secteur financier. Les banques pourraient être touchées par une accumulation de défauts de paiement. La politique de taux d’intérêt bas n’aide pas dans les circonstances actuelles sauf que c’est bien de maintenir une liquidité ample à bas prix. La BNS doit également surveiller l’évolution du taux de change.
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Y a-t-il un besoin de coordination au niveau de grandes banques centrales?
L’idée de collaborer pour garantir un flot de liquidités en dollars est bonne. Il est rassurant qu’elles aient pris un engagement dans cette direction dimanche dernier. A part cela, elles n’ont pas d’outils directs pour aider l’économie réelle. C’est la politique budgétaire qui compte à ce stade; c’est elle qui peut lui donner une impulsion.
La Fed a tout de même sorti les grands moyens…
Le gouvernement des Etats-Unis a malheureusement tardé à agir, perdant ainsi du temps précieux. En ce qui concerne la Fed, elle a pris des mesures extensives pour assurer assez de liquidité pour les banques et le système financier. En ce qui concerne le fameux «Helicopter Money» qui semble être à l’ordre du jour et qui consiste à distribuer du cash à la population, tout dépend de la façon dont cet argent est dépensé. Il serait dangereux de le faire via la Fed, car si on distribue de l’argent créé par une banque centrale, il est impossible de le récupérer un jour, par exemple si on a un danger d’inflation. Si on veut distribuer du cash, ce sont les autorités budgétaires qui doivent le faire.
Que pensez-vous du «bazooka» déployé par la BCE mercredi soir?
Je pense qu’il était nécessaire que la BCE envoie un signal clair de sa volonté de stabiliser les marchés financiers. Et créer des liquidités en achetant davantage de titres financiers est plus ciblé que baisser les taux d’intérêt. Cependant, comme déjà mentionné, la tâche principale de stabilisation repose sur les autorités budgétaires, également dans les pays de l’UE.
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Pensez-vous que le monde se dirige tout droit vers une récession?
Nous vivons un choc particulier en ce début 2020, de l’offre et de la demande à la fois. Normalement, la récession advient lorsqu’il y a une crise de la demande et la consommation baisse fortement. C’est bien le cas aujourd’hui. Mais il y a aussi un choc d’offre. C’est-à-dire que la production de marchandises et de services est en baisse. Les chaînes de valeur sont rompues et des travailleurs ne sont pas disponibles. Si on considère l’ampleur du choc, une récession semble inévitable. A partir de là, l’ampleur de cette récession dépendra de la durée de la crise que nous vivons. Dès lors, je dis qu’il est impératif d’aplatir le plus vite possible la courbe des personnes affectées par le coronavirus. C’est une condition pour relancer l’économie. Cela n’est pas du ressort de financiers ou d’économistes. C’est le personnel soignant qui est aux commandes