Au Centre William-Rappard à Genève, siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les lumières se sont éteintes il y a une semaine. Les projecteurs sont désormais braqués sur Bali. A l’aéroport international de Ngurah Rai, les services d’immigration ont multiplié les guichets de fortune pour mieux gérer le flux des délégations étrangères attendues dès aujourd’hui. Les hauts dignitaires gouvernementaux et la société civile ont rendez-vous sur l’île indonésienne, qui accueille, dès mardi, la 9e Conférence ministérielle de l’OMC. Ce rendez-vous bisannuel – qui dure cette fois quatre jours – réunit les plus hauts dignitaires des capitales des 159 Etats membres de l’OMC. Objectif: faire progresser le libre-échange. Sur le chemin qui mène au Centre de conférences de Nusa Dua, les hôtels affichent complet. Et les bannières aux couleurs de l’OMC, éparpillées tous les vingt mètres, tutoient les affiches publicitaires au format XXL.

Cette année, la conférence sera décisive pour l’avenir de l’institution. Elle se présente comme l’ultime test de la capacité de l’OMC à formuler de nouvelles règles du jeu. Car, en dix-huit ans d’existence, l’OMC s’est révélée incapable de produire un accord commercial entièrement multilatéral. Au-delà de cette vocation à raviver la flamme éteinte suite à l’enlisement du Cycle de Doha – nom donné à la vaste réforme du système des échanges internationaux lancée en 2001 –, les observateurs s’accordent à dire qu’elle représente aussi la dernière chance de voir un jour cette ronde de négociations redémarrer.

Si un accord – même modeste – venait à être scellé en Indonésie, d’aucuns imaginent que l’opération suffirait à donner l’élan nécessaire pour restaurer la confiance en l’OMC. «Un échec total est exclu. Quel que soit le résultat, il sera contenu et les éventuels dégâts d’image maîtrisés, nuance Carlos Braga, professeur d’économie politique internationale à l’IMD. Le menu présenté à cette table de négociations n’est qu’une étape. Le vrai enjeu consiste à déterminer l’appétit des membres pour un agenda après Bali.»

Seul hic: la règle veut qu’à Bali on s’accorde sur tout, ou alors sur rien. En l’absence de consensus sur un élément du dossier (en l’occurrence composé de trois piliers: facilitation des échanges, agriculture et développement), tout l’édifice s’effondre. Les parties aux discussions préparatoires à Genève ne sont pas parvenues à franchir la ligne d’arrivée imaginaire qu’ils s’étaient fixée. L’adoption d’un texte finalisé, constitué d’un ensemble d’accords présentables pour Bali, leur a échappé disent-ils à la dernière minute. Mardi passé, le directeur de l’OMC (depuis septembre dernier), Roberto Azevêdo, est venu, publiquement, faire amende honorable. Lui, l’homme du sérail, le réformateur providentiel, le porteur d’espoir choisi pour insuffler une nouvelle dynamique à l’OMC a échoué là ou son prédécesseur, Pascal Lamy, avait aussi buté durant ses deux mandats. C’est la mine sévère, usé par le marathon de séances – 150 heures de négociations, certaines de nuit ou les week-ends – organisées ces dernières semaines, que Roberto Azevêdo a briè­vement salué les efforts «inédits» des délégations. «Nous sommes passés très près du but. Et sommes allés aussi loin que possible, indépendamment du temps à disposition», a glissé celui qui n’a pas ménagé ses efforts pour faire bouger les lignes. Le processus de Genève s’achevant sur une défaite, l’avenir de Doha et de l’OMC est à présent entre les mains des ministres réunis à Bali. «Je reste dubitatif quant à un progrès en Indonésie en raison de la médiatisation et de la configuration de l’événement, ainsi que de la nature technique des objets en suspens, matière peu accessible pour des ministres», a-t-il encore signalé, avant d’ajouter que la majorité des Etats membres n’avaient pas complètement baissé les bras et qu’ils poursuivaient leurs travaux de coordination avec leurs capitales en vue d’une issue heureuse.

Bilan: c’est avec une grande détermination, mais sans trop d’illusions, que les délégations des 159 Etats membres se réunissent sur l’archipel volcanique. Avec quelles chances d’aboutir? Suspense. A noter toutefois l’option d’une éventuelle sortie par le bas, avec la poursuite des travaux en 2014 et une autre conférence ministérielle à la fin du premier semestre. «Mais nous sommes inquiets, comme beaucoup d’autres membres de l’organisation, car une occasion comme celle-là, il n’y en a qu’une par génération. Et elle vient de nous échapper des mains», a commenté mardi à Genève Michael Punke, ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’OMC.

«Une telle occasion n’arrive qu’une fois par génération. Et elle vient de nous échapper des mains»