L’heure est venue de croiser le fer. Dans la foulée de discours chocs mercredi, lors de la première plénière ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Bali, les hauts dignitaires politiques ont enchaîné les rencontres avec leurs homologues.

Tout le monde ne parle plus que des manœuvres autour de l’Inde, dont les revendications agricoles font trembler l’édifice OMC. Son ministre du Commerce, Anand Sharma, a jeté un froid en déclarant: «Les règles dépassées de l’OMC doivent être corrigées. Les clauses concernant les restrictions aux subventions agricoles ne peuvent pas être acceptées sous leur forme actuelle. […] Pour l’Inde, la sécurité alimentaire n’est pas négociable.»

En vertu de sa dernière loi sur la sécurité alimentaire, découlant d’une promesse électorale de 2009, New Delhi s’est engagé à constituer des réserves de nourriture par un système de subventions (illégales selon les critères de l’OMC) aux agriculteurs. Ce programme implique l’achat de grain aux petits paysans, soit près de 80% de la population indienne, à des prix supérieurs au marché. Stocks qui sont ensuite destinés à être redistribués aux pauvres – 70% de la population, soit 800 millions d’individus – à des tarifs cette fois-ci inférieurs au marché.

L’enveloppe gouvernementale prévue à cet effet s’élève à 20 milliards de dollars par an, soit cinq fois moins que ce qu’ont dépensé les Etats-Unis en 2012 dans le cadre de leurs programmes d’aide alimentaire. La différence: le système américain est considéré comme légal selon l’OMC, car les denrées achetées le sont au prix coûtant, ce qui ne distord pas le marché et les échanges.

A contrario, l’Inde a opté pour un système de prix administrés. Tant et si bien que les Etats-Unis, notamment, craignent que des tonnes de céréales indiennes ne viennent perturber le marché agricole. Le raisonnement: une telle politique interventionniste ferait grimper les prix à court terme, avant de les plomber sur le long terme.

Ici, le phénomène de dumping s’explique par le fait que ces stocks sont difficiles à conserver, qu’ils risquent de ne pas être disponibles au bon moment, et que s’ils coïncident avec de bonnes récoltes. Les Indiens seraient alors tentés de les écouler dans les pays voisins. Ce que redoutent certains pays comme le Pakistan (concurrent direct de l’Inde pour le riz) et le Bangladesh.

Face à ses détracteurs, l’Inde reste ferme. Elle rejette la solution minimale proposée dans le cadre de Bali, soit une permission de recourir à une pratique irrégulière pour une durée maximale de quatre ans (clause de paix l’immunisant contre une plainte). De plus en plus isolé dans sa quête, le pays fer de lance du G33 (46 pays en développement) vise un règlement permanent. Quitte à «prendre en otage», d’autres enjeux discutés à Bali. Raison pour laquelle il se raconte qu’un règlement du «dilemme indien» pourrait débloquer de nombreux autres dossiers. Les ministres ont à présent moins de 48 heures pour articuler une idée susceptible de combler le vide séparant les quatre ans de moratoire – proposition minimale ad hoc – et une solution perpétuelle revendiquée par New Delhi.

New Delhi s’est engagé à faire des réserves de nourriture via un système, illégal selon l’OMC