Les invités

La Banque nationale est présente dans les régions

* Directeur de l’analyse économique à la BNS

D’abord Neuchâtel, puis Lausanne et finalement Genève. Le 31 janvier 2012, la Banque nationale fermait le guichet de sa succursale du bout du lac Léman. Quelques semaines plus tard, le bâtiment de la rue François-Diday avait été vendu. Ce pas marquait-il le retrait définitif de la BNS de Suisse romande?

Toute banque centrale doit sa raison d’être à un mandat très clair: créer et maintenir un environnement monétaire stable afin de favoriser un développement économique équilibré et accroître le bien-être social du pays. Inchangé au niveau du principe, ce mandat a par contre fortement évolué du point de vue opérationnel. D’importants changements technologiques et institutionnels ont affecté les systèmes monétaires et financiers. Ces changements ont modifié le fonctionnement des banques centrales, y compris les modalités de leur présence sur le territoire.

Dans bien des cas, les banques centrales furent créées par le législateur en réaction à une situation de désordre monétaire. Leur premier objectif était le développement d’un système de paiements efficace et le renforcement de la confiance du public dans les nouvelles monnaies nationales. Ce défi avait aussi une dimension géographique.

A une époque où les moyens de communication étaient peu performants, les banques centrales ne pouvaient assurer leur rôle qu’à condition de disposer d’une structure qui couvrait l’essentiel du territoire.

La BNS fut appelée à se substituer aux 36 anciennes banques d’émission actives sur le territoire national. Pour y parvenir, elle s’est appuyée sur un large réseau de succursales et d’agences, à côté des sièges de Berne et de Zurich. Des succursales furent ouvertes dès 1907 à Bâle, Genève, Neuchâtel et Saint-Gall, suivies par Lausanne et Lucerne en 1908, Aarau en 1922 et Lugano en 1929.

Lors des décisions de localisation, «on prit soin de choisir des régions formant des unités économiques, possédant un bon réseau ferré et dont l’arrière-pays et la localité où la succursale aurait son siège entretenaient des relations actives et suivies».1

Les succursales géraient les opérations d’escompte, à l’époque le principal instrument de l’émission de liquidités. Elles procédaient à la gestion des comptes de virement pour les acteurs locaux et se dédiaient à la promotion auprès du public des avantages offerts par les paiements sans numéraire. En outre, elles assuraient l’approvisionnement de l’économie en pièces et en billets.

Le rôle central de l’activité des succursales était mis en évidence par leur dotation en personnel. Au milieu des années 1950, la BNS employait pas moins de 145 collaborateurs dans les régions, contre 265 aux sièges de Berne et de Zurich. Ce chiffre est demeuré très stable jusqu’aux années 1980 avant de connaître une forte diminution dans le passé récent. D’inéluctables changements de toute sorte ont mené à un déclin progressif des fonctions opérationnelles des succursales. Ainsi, dès 1998, la BNS a progressivement procédé à leur fermeture.

Au-delà de leurs tâches opérationnelles au sens strict, les succursales remplissaient un rôle fondamental de liaison entre la direction générale de l’institut d’émission et les acteurs locaux: entreprises, associations faîtières et syndicales, autorités politiques à différents niveaux. En 1932, la BNS soulignait: «Il est indispensable que la Banque nationale se tienne au courant de l’évolution économique pour orienter sa politique […] Un contact immédiat et journalier avec le monde des affaires permet à la direction de recueillir des données précieuses.» Les succursales ont ainsi toujours eu pour mission de renseigner «la direction générale sur la situation du commerce et de l’industrie locale». Cependant, le flux d’informations allait aussi dans l’autre sens: les directions régionales véhiculaient les raisons des choix de politique monétaire et contribuaient ainsi à une meilleure acceptation des autorités monétaires par le public.

Ces aspects demeurent très actuels. C’est pourquoi la BNS a gardé une présence forte et ininterrompue dans les régions du pays. Elle le fait aujourd’hui par le biais de ses huit délégués aux relations avec l’économie régionale, dont ceux en place à Lausanne et à Genève.

Les délégués maintiennent la double fonction décrite auparavant. D’une part, ils rencontrent régulièrement les acteurs économiques de la région pour récolter des informations sur l’état et les perspectives de l’économie. De l’autre, ils représentent la BNS vis-à-vis du public en communiquant les messages de politique monétaire de la direction générale et en répondant aux besoins spécifiques de leurs interlocuteurs. Dans leur activité, les délégués sont soutenus par des comités consultatifs régionaux, un petit groupe d’entrepreneurs choisis par la direction générale et le conseil de banque de la BNS en fonction de leurs ancrages et de leurs connaissances de la réalité économique de la région.

La récolte d’informations était particulièrement utile à une époque où les données statistiques sur l’état de l’économie faisaient défaut. Cependant, elle reste très précieuse aujourd’hui encore car certains aspects sont peu ou pas couverts par les statistiques. Ainsi, par exemple en 2010 et en 2011, les délégués ont mené plusieurs enquêtes sur les conséquences de l’appréciation du taux de change. Comment se répercutait l’appréciation du franc sur les prix, les volumes de vente, les marges bénéficiaires et les parts de marché? Par quelles mesures les entreprises ont-elles réagi? Quels étaient les effets à attendre sur l’activité d’investissement et l’emploi? Les délégués assurent la représentativité de leurs enquêtes par le choix d’un échantillon de partenaires qui reflète la structure économique locale.

La BNS n’est pas la seule à maintenir une importante présence sur le territoire. Les autres principales banques centrales disposent aussi d’une infrastructure permettant un contact régulier avec les acteurs économiques.

La forme a donc changé dans le temps. La nécessité et la volonté de la BNS de marquer une présence régionale demeurent.

1. Toutes les citations sont tirées des ouvrages commémoratifs de la BNS de 1932 et de 1957.

«Au milieu des années 1950, la BNS employait pas moins de 145 collaborateurs dans les régions, contre 265 aux sièges de Berne et de Zurich»