L’invité
Mais la situation va changer à partir du 1er juillet 2015, prévient l’avocat Douglas Hornung. Les banques seront alors obligées d’informer le MROS si l’un de leur client a éludé 300 000 francs d’impôts sur l’année dans son pays. Sous peine de se rendre copuable de blanchiment d’argent.
Les récentes contributions de Mes Carlo Lombardini (LT 2 et 16.3.2015) et Marc Béguin (LT du 12.3.2015) arrivent à des conclusions diamétralement opposées. Pour Me Lombardini, les banques seraient en droit de bloquer les avoirs non fiscalisés de leurs clients, en application des règles impératives étrangères qui criminalisent l’évasion/fraude fiscales et permettent de poursuivre la banque en complicité de blanchiment de fraude fiscale. Pour Me Béguin, le droit suisse ne donne aucune base légale aux banques pour bloquer les avoirs et les banques ne peuvent soudainement bloquer des avoirs qu’elles savent – depuis des lustres – être non déclarés au fisc national du client.
A ce jour, la question n’a pas encore été tranchée de manière définitive par le Tribunal fédéral. Notre Cour suprême aura cependant l’occasion de donner sa réponse d’ici l’automne, suite au recours de BNP contre un arrêt rendu le 12 février 2015 par la Cour d’appel du Tessin, ordonnant à la banque d’exécuter l’ordre donné par son client de clôturer son compte par un retrait cash.
En l’état actuel de la législation suisse, il apparaît certain que les banques n’ont aucune base légale pour bloquer des avoirs de leurs clients au motif qu’ils ne seraient pas déclarés au fisc compétent: la seule base légale serait la Loi suisse sur le blanchiment d’argent (LBA). Or, cette loi ne permet le blocage que pour quelques jours et pour autant qu’on puisse soupçonner un crime préalable qui pourrait déclencher l’application de la LBA. Actuellement, il n’y a aucun «crime préalable» car le dépôt ou la gestion, en Suisse, d’avoirs non déclarés dans le pays d’origine n’a rien d’illicite ou de contraire au droit suisse.
L’Association suisse des banques (ASB) l’a encore rappelé tout récemment à l’occasion des SwissLeaks (LT 10 février 2015), tout comme l’avait fait la Finma elle-même dans son rapport 2011, l’Association des Banques Privées suisse ou encore, en 2013, l’Organisme d’Autorégulation des Avocats et Notaires.
Clairement, tous ces organismes officiels confirment qu’il faut s’en tenir au droit suisse et que le droit étranger ne saurait être d’application directe comme le préconise Me Lombardini.
Mais la situation va changer à partir du 1er juillet 2015. A cette date entrera en vigueur la loi suisse sur la mise en œuvre des recommandations GAFI qui fera le lien entre fraude/évasion fiscales et blanchiment d’argent: si le client a éludé pour l’équivalent de 300 000 francs d’impôts lors d’une année fiscale, il sera alors considéré qu’il y a crime préalable et par conséquent la banque suisse se rendrait coupable de blanchiment d’argent si elle laissait le client disposer de ses fonds. La banque aurait alors l’obligation d’en informer le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS) lequel ordonnera sans doute le blocage des fonds. En bref, ce n’est qu’à partir du 1er juillet 2015 que la banque aura une base légale permettant de faire bloquer les fonds et seulement dans la mesure où il peut être soupçonné que le client a commis une évasion/fraude fiscale envers son fisc national pour un montant supérieur à 300 000 francs.
La Suisse a ainsi pris les mesures législatives à ce sujet et ces mesures ont été jugées conformes aux principes de l’OCDE. C’est la raison pour laquelle la Suisse vient de passer en «phase II» de l’examen par les pairs du Forum Mondial.
Il n’y a donc aucune raison de vouloir faire appliquer directement le droit étranger en Suisse, comme le préconise Me Lombardini. A défaut, on comprendrait mal pourquoi la Suisse adopte – en accord avec les principes de l’OCDE – sa propre législation et ses propres critères; sauf à considérer que ses lois ne sont faites que «pour la galerie» et qu’en toutes hypothèses, le droit public étranger prévaudrait..!
Au total, les banques n’ont actuellement aucune base légale pour refuser d’exécuter les ordres donnés par ses clients, même si les avoirs ne sont pas déclarés dans le fisc d’origine. Dans ces cas, les banques doivent cependant résilier la relation et donc clôturer le compte. Cela ne signifie pas qu’elles peuvent séquestrer les avoirs (ou créer ainsi des avoirs en déshérence!) mais bien qu’elles doivent exécuter les ordres de clôture qui lui sont donnés, en respectant le principe du «paper trail» (savoir où ont été transférés les avoirs et en garder la trace, soit ne pas clôturer le compte par un retrait cash).
Les clients ont tout intérêt à donner cet ordre avant le 1er juillet 2015 car, à partir de cette date, la banque aura enfin la base légale qui lui manque et dénoncera le client au MROS; dans la mesure où le montant des impôts éludés dépasse l’équivalent de 300 000 francs pour l’une pour l’autre des périodes fiscales.
*Avocat, membre du Barreau de Genève