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Demande de services bancaires
Pourtant, l’heure est au cash out. Après la forte progression des cryptomonnaies en 2017, des adeptes de la première heure cherchent à transformer une partie de leur fortune en monnaies traditionnelles, et à la faire gérer par des professionnels.
«Il s’agit souvent d’investisseurs très orientés sur les nouvelles technologies, qui ont misé sur les cryptomonnaies très tôt et avec grand succès. Ils ne peuvent pas toujours utiliser leur fortune numérique dans leur pays d’origine et sont souvent sensibles à l’image de la Suisse, entre la qualité du service bancaire et la tradition de discrétion», explique Olivier Cohen, cofondateur d’Altcoinomy à Genève, une société spécialisée dans les services liés aux cryptomonnaies qui fait l’intermédiaire entre le monde des cryptos et les banques. Le fait que de nombreuses ICO (levées de fonds en bitcoins et autres cryptomonnaies) ont lieu en Suisse, dont certaines des plus importantes au monde, constitue un autre facteur de proximité.
Pour les cryptofortunes, un véritable parcours du combattant s’impose avant de pouvoir ouvrir éventuellement un compte dans une enseigne suisse. «Les banques ont un a priori défavorable sur les cryptomonnaies en général, la grande majorité de celles que nous avons contactées depuis début 2017 n’a pas voulu entrer en matière. Celles qui commencent à être intéressées sont extrêmement exigeantes en matière de contrôles», poursuit Olivier Cohen, ancien banquier et trader, qui se décrit comme un passionné de la première heure des cryptos.
Reconstituer la cryptofortune
Il reconnaît n’avoir essuyé que des refus lors des premières tentatives d’approches vers le milieu bancaire. Mais le rally des cryptomonnaies en 2017 a favorisé leur adoption, les clients posent davantage de questions à leur banquier sur ce sujet, précise-t-il. Des questions auxquelles il est souvent répondu: «Vous investissez dans les cryptomonnaies à vos risques et périls».
Avant que les banques acceptent cette nouvelle source de net new money, plusieurs conditions doivent être remplies, explique Olivier Depierre, avocat genevois spécialisé dans les ICO et les cryptomonnaies: «les organes décisionnels de la banque doivent avoir compris et accepté cette nouvelle activité, puis la banque doit mettre en place une procédure compliance spécifique d'identification des fonds, en remontant jusqu'à l’origine des avoirs en monnaies traditionnelles qui ont été investis dans du bitcoin ou dans d’autres moyens de paiement cryptographiques, voire dans des jetons numériques créés lors d’ICO».
C’est sur ce dernier aspect que les soupçons de blanchiment ou d’autres délits préalables sont les plus forts. «Mais il s’agit souvent de sommes très limitées, l’équivalent de quelques dizaines de milliers de dollars qui sont devenus des millions, voire des dizaines de millions grâce à l’envolée des cours des cryptomonnaies», relativise Nathalie Barzilay, avocate chargée des aspects légaux chez Altcoinomy. A titre d'exemple, l'Ether ou le ripple ont gagné plus de 10000% et 12000% respectivement l'an dernier.
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L’évolution de la fortune en cryptomonnaies, après l’investissement initial, peut être intégralement retracée grâce à la blockchain. « La traçabilité d’une adresse sur la blockchain est totale, poursuit Nathalie Barzilay. On peut connaître les flows d’actifs qui lui sont liés, les montants, les transferts, les soldes. Les outils informatiques existent, les banques devraient progressivement les adopter».
«No comment»
Une adresse sur la blockchain est une suite de chiffres et de lettres qui permet d’interférer sur ce grand registre numérique; elle ne contient pas le nom de son utilisateur. Altcoinomy a également mis sur pied une procédure d’identification du client (KYC, pour «Know Your Customer») adaptée à cette nouvelle sphère et des méthodes spécifiques de vérification (microtransactions en devises numériques, message de signature inséré dans la blockchain).
Pour le moment, une poignée de banques genevoises ont manifesté un intérêt pour ce nouveau type de clientèle. Intérêt assorti de demandes très précises, comme celle d’une transparence totale sur l’identité des clients potentiels. Mais aucun de ces établissements n’a accepté de s’exprimer dans le cadre de cet article.
De manière plus générale, ce nouveau type d’activités financières se heurte à des manques dans l’écosystème genevois. Si les autorités du canton manifestent régulièrement leur intérêt et leur soutien aux nouvelles technologies, des services plus concrets manquent encore, observe Olivier Cohen. «En tant qu’intermédiaire financier, nous devons être surveillés au titre de la lutte contre le blanchiment. Mais aucun des OAR locaux [les organismes d’autorégulation, chargés de lutter contre le blanchiment, ndlr] n’a accepté notre candidature.» C’est donc à Zoug que les deux Genevois ont trouvé un OAR acceptant de surveiller leur nouveau business. Le VQF les a affiliés en quatorze jours.