Les banques tessinoises appelées à financer l’Italie
Rapport
René Chopard voit dans le manque de crédit aux PME italiennes une occasion à saisir. Le professeur veut aider la gestion de fortune à rebondir
Pour la place financière tessinoise, l’Italie, et en particulier l’Italie du Nord, est fondamentale; c’est grâce à la gestion des patrimoines provenant de la Péninsule qu’elle est devenue la troisième de Suisse, rappelle René Chopard, coauteur d’une étude, présentée en juin, sur les rapports entre les banques tessinoises et les entreprises italiennes.
Or, la moitié des clients privés italiens du Nord des instituts bancaires tessinois sont aussi propriétaires d’entreprises, selon cette étude. Et en Italie, dans un contexte politique instable et un environnement économique déprimé, celles-ci peinent à trouver des crédits bancaires – c’est le phénomène du «credit crunch», qui étrangle les PME dans toute l’Europe du Sud.
Résultat, toujours plus d’entreprises souffrent d’une insuffisance de liquidité: en Lombardie par exemple, leur nombre a augmenté de 70,9% en 2012, selon l’étude du Professeur Chopard, qui dirige le Centre d’études bancaires, à Vezia. N’est-ce donc pas une occasion à saisir pour les banques tessinoises? «Nous vivons actuellement un véritable changement de paradigme, répond René Chopard. La stratégie de l’argent propre et la nécessité pour les banques suisses de se conformer aux normes étrangères ont pour conséquence la fiscalisation des patrimoines financiers étrangers, qui se traduit à son tour dans l’abolition de la séparation claire entre patrimoine financier – jusqu’ici offshore – et patrimoine économique – par définition national.»
En d’autres termes, il devient possible – et même «inéluctable» – d’intégrer la gestion patrimoniale (private banking) et les services financiers à l’entreprise (corporate finance) pour un même client italien, à la fois «privé» et entrepreneur. Le besoin primaire de l’entreprise italienne est l’accès au crédit. «Le patrimoine privé pourrait être utilisé comme garantie», précise le professeur Chopard.
«Inversement, le crédit peut être considéré comme une modalité de rétention ou d’acquisition du client privé», poursuit-il. Bien sûr, outre le prêt, les banques tessinoises devraient viser à offrir une large palette de services: cash management, gestion des salaires ou de la trésorerie, gestion des devises, paiements internationaux, matières premières ou encore accompagnement à la délocalisation.
Le potentiel d’expansion est énorme, selon l’étude. Aujourd’hui, seule une minorité insignifiante d’entreprises italiennes (5,2%, selon l’étude de René Chopard) entretiennent des rapports avec des instituts de crédit helvétiques.
Malgré tout, le chemin pourrait être encore long jusqu’à la concrétisation. Si du côté suisse, la législation permet maintenant déjà aux banques d’offrir des services financiers à des sociétés italiennes, les obstacles s’accumulent de l’autre côté de la frontière: de la difficulté de l’accès au marché à la complexité juridique et fiscale, en passant par la question des risques. Le climat actuel de tension entre Berne et Rome autour du contentieux fiscal ne devrait pas non plus favoriser le rapprochement entre les banques tessinoises et les entreprises italiennes. Le nouveau président du Conseil italien a bien annoncé mi-juin son intention de rouvrir les négociations portant sur Rubik, mais rien d’officiel n’est encore en route. René Chopard relève toutefois que les divergences entre les deux pays concernent surtout les activités classiques de gestion de fortune.
Dans tous les cas, la mentalité des banquiers est appelée à évoluer, et ils doivent être formés pour faire face à ce nouveau défi. Le Centre d’études bancaires de Lugano-Vezia a ainsi développé une nouvelle certification pour conseillers à la clientèle internationale (Swiss Cross-Border Wealth Management), qui sera proposée aussi à Genève à partir du 5 septembre en collaboration avec le Swiss Finance Institute.
«Le crédit peut être considéré comme une modalité pour retenir ou acquérir un client privé»