Christophe Chazot est responsable de l’innovation au sein du groupe HSBC depuis 2011. A ce titre, il gère notamment les investissements (200 millions de dollars) de la banque britannique dans des fitechs, des sociétés actives dans les technologies financières. Le Temps a profité de son passage au congrès Sibos mercredi à Genève pour lui demander sa vision de la banque de demain.

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Le Temps: Quelles sont les grandes tendances aujourd’hui dans les technologies financières?

Christophe Chazot: Tout d’abord, nous observons que les grands acteurs, que ce soit les banques ou les gérants d’actifs, sont en train de rattraper le retard qu’ils avaient accumulé au cours des quatre ou cinq dernières années. Et cela grâce à des prises de participations, à des collaborations, à des rachats de start-up, mais aussi parce que les fitechs ont elles aussi compris qu’il leur serait très difficile de se développer toutes seules. La deuxième grande tendance, c’est la Chine qui devient un pôle très important de l’innovation financière et bancaire.

- Pourquoi les banques avaient-elles pris du retard, n’avaient-elles pas vu la révolution numérique arriver?

- Si, mais le problème c’est que cette révolution, et notamment le fait de pouvoir prendre Internet avec soit partout, est intervenue en même temps que la crise financière. Du coup, les banques se sont retrouvées accaparées par la gestion de la crise tandis que de plus petits acteurs, eux-mêmes confrontés à des problèmes quotidiens comme le fait de ne pas pouvoir transférer de l’argent facilement d’un pays à l’autre, en ont profité pour innover. Ils ont pu le faire d’autant mieux qu’ils ont bénéficié de l’aide de régulateurs qui, comme en Grande-Bretagne et en Chine, ont encouragé le mouvement.

- Sans parler du financement…

- C’est exact. De 2 milliards de dollars en 2012, les investissements dans les fitechs sont passés à 20 milliards en 2015. Dont 75% environ aux Etats-Unis.

- Vous parliez pourtant de la Chine juste avant!

- Oui, car il y a depuis cette année énormément d’investissements dans les fitechs qui sont réalisés en Asie, et en Chine en particulier.

- Comment l’expliquez-vous?

- Dans les marchés développés, les progrès technologiques conduisent à des évolutions plus qu’à des transformations en profondeur du secteur bancaire. On n’a ainsi pas attendu l’arrivée des robots conseillers pour essayer d’automatiser le conseil de gestion. En Chine par contre, les changements sont plus révolutionnaires.

- Vous avez un exemple en tête?

- Prenez le réseau WeChat que tout le monde utilise aujourd’hui en Chine. Grâce à lui vous pouvez discuter avec des amis, les rembourser le repas de la veille, réserver un restaurant ou encore payer un taxi. Pareil avec Ant Financial, la banque d’Alibaba. Celle-ci offre toute une constellation de services, qui vont du prêt au paiement en passant par la gestion d’actifs. Leur force c’est qu’ils ont pu tout intégrer dès le départ.

- C’est-à-dire?

- Le gouvernement chinois a profité des acteurs du numérique pour développer son infrastructure bancaire qui n’était pas assez robuste pour soutenir la croissance de son économie. Il leur a donc laissé le champ relativement libre pour développer des services financiers.

- Vous ne pensez pas que Facebook ou Apple puissent répliquer le modèle de WeChat?

- En Europe et aux Etats-Unis, où l’infrastructure bancaire et notamment le système de paiement sont bien plus développés, les réglementations sont beaucoup plus restrictives. Il sera donc plus compliqué pour ces groupes d’intégrer des aspects financiers à leurs services.

- Que pensez-vous de la place fitechs européenne, et suisse en particulier?

- Il y a des très belles choses, que ce soit autour de la gestion d’actifs en Suisse ou des systèmes de paiement à Londres. Le problème de l’Europe, comme souvent, c’est son morcellement. En Chine vous avez 1,3 milliard de personnes et aux Etats-Unis 350 millions, qui parlent toutes la même langue, qui utilisent toutes la même monnaie et qui sont toutes soumises à la même réglementation. Cela aide à s’étendre rapidement et plus facilement.

- Après le mobile, quel sera le prochain tournant technologique pour le secteur bancaire?

- Tout ce qui concerne les données et l’intelligence artificielle. L’internet des objets va permettre, par exemple, de simplifier tout ce qui touche au financement du négoce de matières premières, un métier très présent à Genève et qui n’a que très peu évolué au cours de 150 dernières années. Grâce à l’internet des objets, les cargos pourront communiquer directement avec les camions tandis que les papiers, très nombreux, pourront être remplis numériquement. Au final, tout le monde va y gagner et le commerce mondial sera facilité.

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- A quoi ressemblera la banque du futur?

- Je ne crois pas au modèle de la banque supermarché, qui serait réduite à une simple plateforme sur laquelle se connecteraient des acteurs proposant différents services: une fitechs pour les transferts de fonds, HSBC pour les emprunts et une autre banque pour la gestion d’actifs, par exemple. Un tel modèle ne tient pas compte de ce qu’est fondamentalement le métier de banquier, à savoir aider ses clients à avoir une vie financière seine tout en leur donnant les moyens d’atteindre leurs objectifs financiers. Je pense que pour remplir une telle mission il faut maîtriser l’ensemble des éléments suivants: la sécurité des fonds, les transactions, la gestion des risques et le conseil. Or, les données permettent justement aux banquiers de faire leur métier encore mieux qu’auparavant.