Les banquiers ont «convaincu» Berne de se battre pour «Rubik»
secret bancaire
Président de l’Association suisse des banquiers, Patrick Odier fait du projet «Rubik» sa priorité pour sauver le secret bancaire. Objectif: faire accepter à l’Europe l’idée d’un taxation à la source des détenteurs de comptes en Suisse. Afin de faire renoncer à l’échange automatique d’informations. Berne serait «convaincue» de cette solution.
«Nous n’avons jamais eu autant de défis à relever qu’aujourd’hui», a reconnu lundi soir Patrick Odier. Lors d’un dîner «informel» avec la presse, le président de l’Association suisse des banquiers a longuement évoqué les pressions exercées sur le secret bancaire par Washington, Paris, Berlin ou Rome. Cette mise au point intervenait à la veille d’une réunion entre le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz et les ministres des Finances de l’Union Européenne.
S’il devra se plier aux nouveaux accords de fourniture d’informations sur les détenteurs étrangers de comptes suisses, le lobby bancaire défend avec la dernière énergie un projet destiné à sauver ce qui peut l’être du secret bancaire. En évitant le pire: l’échange automatique d’informations sur les détenteurs de comptes avec les services fiscaux européens, une issue «totalement exclue», gronde Patrick Odier.
Si ce risque est écarté, «on arrivera très bien à s’adapter», estime le représentant des banques. De l’aveu de ce dernier, l’avenir des banques ne se trouve pas uniquement dans une lointaine clientèle asiatique ou moyen-orientale. «Je ne vois pas pourquoi on offrirait des services bancaires à 6000 km et pas à 2 km de notre territoire», poursuit Patrick Odier, qui estime que la Suisse doit «adapter ses règlements avec ceux du continent qui l’entoure».
Proposition «irrésistible»
Comment? Grâce au joker du projet dit «Rubik», qui prévoit que les banques taxeront elles-mêmes leurs clients étrangers – à un taux conforme à celui en vigueur dans leur pays – avant de reverser le produit aux administrations fiscales concernées. Une proposition «irrésistible pour les ministres des finances européens», veut croire le porte-drapeau des banques suisses. «Nous leurs offrons la capacité d’obtenir les mêmes recettes fiscales tout en préservant ce qui nous est le plus cher: la protection de la sphère privée de nos clients et la préservation de la compétitivité de notre place financière», assure-t-il. A l’en croire, «depuis un mois, toute l’administration [à Berne] est convaincue de cette piste Rubik qu’elle privilégie», les banques étant de leur côté «prêtes à appliquer ce système». Message aux diplomates: faire entendre la différence «entre une Suisse qui protège et des paradis fiscaux qui cachent».
«Rubik»… ou rien
Les critiques, parfois au sein même du monde bancaire, ont pointé à quel point un système transformant les banquiers en percepteurs était complexe. Et coûteux. «Ce coût reste largement inférieur au risque de ne pouvoir mettre en place un tel système», rétorque celui qui est également associé senior de la banque Lombard Odier. Selon lui, «il n’y a pas de plan B». Ce dernier estime par ailleurs infondées les critiques selon lesquelles, ces dernières années, les montants de l’imposition partielle du patrimoine placé en Suisseet reversés aux pays européens – un mécanisme en vigueur depuis 2005 – auraient été inférieurs aux attentes de ces derniers.
Les capitales européennes accepteront-elles ce projet «Rubik»? «L’idée pourrait trouver une certaine écoute en Italie ou en Allemagne; plus difficilement dans des pays ayant abandonné l’idée de protéger la sphère privée dans le domaine financier», estime Patrick Odier. Sous-entendu, en France? «Nous n’avons pas encore eu l’occasion de présenter [à Paris] cette solution», a reconnu Michel Dérobert, délégué du Groupement des banquiers privés genevois. Ce dernier rappelle cependant que 19 pays de l’Union Européenne applique chez eux un système d’imposition à la source libératoire, ce qui les rendrait plus enclins à la proposition suisse.
Régulariser le passé
Voilà pour l’avenir. Quid cependant de l’imposition des capitaux déjà déposée en Suisse, parfois depuis des décennies? «Ce système Rubik devrait se combiner avec un accord bilatéral sur la régularisation du passé» qui continuerait de protéger cette clientèle historique et ne pas trahir leur confiance. Une confiance sans laquelle «il est exclu d’imaginer une activité de banquier privé», prévient, théâtral, Patrick Odier.
Les récentes affaires de citoyens suisses «lâchés» par leur grande banque n’infirment-ils pas cette promesse? «C’est désastreux au point de vue de notre image, mais il n’y a pas de solution simple». A l’en croire, l’une de ces banques n’a rien pu faire d’autre. Il lui fallait «se plier aux règles américaines ou mourir». Patrick Odier espère néanmoins la réouverture des négociations avec les Etats-Unis pour des cas «simples». Comme ceux des citoyens suisses installés en Amérique ou des expatriés américains travaillant dans la Confédération.