Frédéric Oudéa, directeur général de la Société Générale, affirma dernièrement: «Nous sommes les docteurs de l’économie.» Un virus, minuscule et vicieux, a offert à nos financiers la possibilité de retrouver une réputation perdue suite à la crise financière mondiale (CFM).
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Les discussions vont bon train. Convient-il de protéger les banques et leur accorder une immunité dont tout le monde rêve? Faut-il interdire aux banques de payer des dividendes pour préserver leur capital? Ou empêcher des rachats d’actions? Ces questions sont complexes, les enjeux énormes.
L’instrument des crédits bancaires
Le scénario envisagé pour injecter de l’oxygène dans l’économie est celui de crédits bancaires. L’ampleur du besoin et les pressions compétitives vont pousser les banques à octroyer des crédits bien supérieurs à ceux auxquels elles se seraient engagées en temps normaux. Les banques devront demander à leurs gouvernants de garantir les prêts Covid-19 accordés. Le montant des prêts, les risques encourus, et le coût total de l’opération augmenteront. Les banques devront apporter tout leur savoir-faire et leur vertu afin de ne pas maintenir artificiellement en vie des firmes sans avenir. Le parallèle avec le dilemme des médecins face aux patients nécessitant réanimation est saisissant.
Les gouvernements sont pris entre deux maux. Si leurs garanties se révèlent partielles ou incertaines, un trop grand nombre de firmes iront à la faillite. Dans ce cas, des banques aussi se retrouveront en défaut, générant une seconde vague répliquant la CFM. Nos gouvernants, à bout de souffle après avoir combattu le Covid-19, voudront l’éviter et à tout prix. Générant un autre mal en forme de prêts bancaires garantis et se multipliant à l’infini. La collectivité portera une dette excessive handicapant toute croissance future.
La prudence des gouvernements
Ce sont les conseils d’administration des banques qui décideront de l’enthousiasme avec lequel chacune répondra à l’appel du type 16 Juin 1940 lancé par les gouvernants. Ces conseils évalueront rentabilité, risque et responsabilité sociale. Les banques qui répondront à la demande d’une plus grande orientation sociale risquent leur propre solvabilité. Cela a été le choix des médecins face au Covid-19; trop d’entre eux en sont morts.
Les gouvernements veilleront à ne pas intervenir de manière trop musclée dans les choix des banques et dans les marchés. De telles interventions entraînent des distorsions, et, au fil du temps, des bulles, et des krachs. A l’origine de la CFM, nous avons le gouvernement américain qui désirait que chaque citoyen devienne propriétaire, même s’il n’en a pas les moyens.
Tous les banquiers ne sont pas vertueux
Les banquiers nous ont habitués à de belles mises en scène pour pomper leur profitabilité et réduire leur risque. C’est dans leur ADN. Le théâtre des ventes croisées de la Wells Fargo aux Etats-Unis en est un exemple. En Australie, une Haute Commission royale a mis au jour des mécanismes complexes opérant sur longue période. En Europe, nous avons eu la crise du Libor. Les banquiers sont intelligents, tous ne sont pas vertueux. Une manière est de prêter à des clients sûrs pour des opérations dites créatrices de valeur, et qui s’avèrent ne pas l’être. Les autorités de réglementation ont détecté tous ces cas très tardivement, voire pas du tout. Il faudra plus de rigueur, alors que le volume des crédits va faire baisser la garde.
La question de savoir si les banques seront autorisées à verser des dividendes ou effectuer des rachats d’actions lors de l’opération de sauvetage est peut-être erronée. La question du dividende n’est pas la plus critique. Les actionnaires des banques sont pour la plupart des fonds diversifiés, dont Blackrock. Ils génèrent de la liquidité en vendant des actions. Etant donné que les valeurs bancaires ont fortement chuté, les rachats peuvent être un signal générateur d’une confiance et d’un dynamisme qui nous manque tant aujourd’hui.
Une solution pour limiter la surenchère bancaire est du style BPI en France, ou, mieux encore, la Treuhand qui prit possession de 8500 entreprises publiques est-allemandes lors de la réunification, afin de les privatiser. Elle était de son temps la plus grande entreprise industrielle du monde. Elle fit son boulot avec une froide rigueur, mettant 2,5 millions d’ouvriers (sur 4 millions) au chômage. Elle fut énormément critiquée et son président fut tué par un inconnu, soupçonné d’être un ancien membre du groupe Baader-Meinhof.
La manœuvre de sauvetage de l’économie s’avère aussi complexe et délicate que coûteuse. Elle demandera des financiers intelligents, vertueux et socialement responsables. Et motivés par la chance de retrouver un honneur perdu lors de la crise financière mondiale.