Suspense au Cameroun, où le renouvellement de la concession du terminal de conteneurs de Douala fait l’objet d’un conflit. Suspense à son comble même depuis que, la semaine dernière, le port a annoncé qu’il allait gérer son terminal par le biais d’une régie locale, le temps que la justice tranche.

Au centre de cette affaire figure une division méconnue d’un géant genevois: Terminal Investment Limited Sàrl (TIL), basée dans le quartier genevois de Champel, dans les locaux de sa maison mère, le groupe privé MSC. Une multinationale discrète sous les projecteurs de la presse africaine, qui fait ses choux gras de ce conflit qui a des répercussions jusqu’au sommet de l’Etat, en Suisse, en France et au Cameroun.

Gros enjeux

Les enjeux sont importants: le port de Douala est un des plus importants d’Afrique, une porte d’entrée dans la patrie de Paul Biya, mais aussi au Tchad et en République centrafricaine. Un ancrage d’autant plus intéressant que les volumes à l’importation sont équivalents à ceux à l’exportation. Les bateaux qui arrivent ou repartent à vide sont donc rares, contrairement à d’autres ports africains.

Cette histoire commence le 8 janvier 2019, quand le port de Douala annonce que le groupe français Bolloré va perdre la concession dont il est titulaire depuis quinze ans en janvier 2020. Dans un appel d’offres pour la renouveler, le port ne retient pas sa candidature. Cinq concurrents sont sélectionnés: le français CMA Terminals, l’émirati DP World, le chinois Hutchison Port Investments, le saoudien Red Sea Gateway Terminal et TIL.

En juillet, Bolloré et APMT (une filiale de Maersk avec laquelle le groupe français partage la majorité du capital d’une joint-venture gérant la concession du terminal) saisissent le juge administratif de Douala pour faire annuler la décision du 8 janvier. Le consortium estime qu’elle aurait été entachée d’irrégularités.

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Opération gelée

Dans un courrier adressé à Paul Biya en septembre, que Le Temps s’est procuré, Cyrille Bolloré (le fils du patron du groupe) demande au président d’intervenir. Mais quelques jours plus tard, le port de Douala annonce que TIL a gagné en finale contre DP World.

Cela ne s’est pas joué à grand-chose, selon nos informations: TIL a mis 540 millions d’euros sur la table, soit 12 millions de plus que son concurrent émirati. «TIL a eu la meilleure note financière, mais aussi technique», selon une source proche de l’entreprise.

Mais le 23 octobre, le président camerounais gèle toute l’opération. Une intervention quelques jours plus tôt du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, aurait permis d’obtenir cette suspension, selon La Lettre du continent, un média de référence en Afrique. Paul Biya demande que la finalisation du contrat avec TIL soit suspendue dans l’attente des «conclusions définitives» du tribunal administratif saisi par Bolloré et APMT en juillet.

«TIL a gagné le contrat»

Une semaine plus tard, c’est au tour de l’ambassadeur suisse au Cameroun d’intervenir. Le tessinois Pietro Lazzeri lui apporte une lettre du président de la Confédération dans laquelle Ueli Maurer s’inquiéterait notamment du traitement réservé à TIL sur le port de Douala.

Le Tribunal administratif de Douala, qui doit se prononcer suite à la requête de Bolloré et APMT, serait-il sous pression? Tous les regards sont désormais tournés vers lui. La semaine dernière, le port de Douala a indiqué que la régie mandatée pour s’occuper ad interim du terminal à conteneurs dès le 1er janvier pourrait être sollicitée pendant un an. «TIL a gagné le contrat et attend le feu vert des autorités pour la suite», nous indiquait un porte-parole de MSC dans un e-mail fin novembre, sans commenter davantage depuis. Le groupe Bolloré n’a pas répondu à nos sollicitations.

Fondée en 2000, TIL est la division de MSC qui gère les terminaux portuaires. C’est celle qui connaît la plus forte croissance au sein de MSC. Active dans 29 pays et cinq continents, elle a investi dans 54 terminaux de conteneurs, ce qui fait d’elle la sixième plus grosse entreprise du secteur du monde.