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La BCE va-t-elle moins communiquer? Les spéculations vont bon train sur les marchés

Pour élargir sa marge de manœuvre, la Banque centrale européenne, qui a laissé ses taux inchangés jeudi, entend changer sa politique de communication. La BCE veut prendre ses distances avec un vocabulaire trop facile à décrypter par les professionnels. Ce qui suscite la crainte d'un recul de la transparence.

La Banque d'Angleterre a relevé jeudi son principal taux directeur d'un nouveau quart de point, le portant à 4,75%, son niveau le plus élevé depuis trois ans. L'autorité monétaire a ainsi resserré sa politique monétaire pour la cinquième fois depuis novembre 2003, dans le but de juguler le risque de surchauffe, notamment dans le secteur immobilier.

L'écart s'agrandit par conséquent avec le loyer de l'argent dans la zone euro. Le même jour, la Banque centrale européenne (BCE) ne s'est en effet pas laissé influencer par la flambée des prix du pétrole et son impact inflationniste potentiel. Le conseil des gouverneurs de la BCE a laissé inchangé son taux directeur, à l'issue de sa dernière réunion avant les vacances d'été, selon le bref communiqué diffusé. Le taux a été maintenu à 2%, un plus bas pour plusieurs pays de la zone euro depuis six décennies. Les décisions des deux banques centrales étaient largement attendues par les marchés.

Comme le veut la tradition au mois d'août, la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE s'est tenue par téléconférence et n'a pas été suivie d'une conférence de presse. L'annonce n'a donc été assortie d'aucun commentaire. Ce qui permet aux marchés de se préparer au changement de politique de communication qui se dessine. La BCE a recouru jusqu'à récemment à un vocabulaire perçu comme un véritable langage codé par les professionnels. En qualifiant par exemple d'«approprié» le niveau des taux d'intérêt, elle suggérait une absence de changement jusqu'à la prochaine réunion. Si les taux devaient rester inchangés pour les mois à venir, elle les qualifiait d'«appropriés sur un horizon prévisible».

L'exemple italien

L'abandon de code favoriserait un débat plus ouvert selon la nouvelle approche de la BCE. Dans une interview accordée à Boersen Zeitung du 22 juillet dernier, Otmar Issing, l'économiste en chef de la BCE, plaidait d'ailleurs pour une meilleure communication en ces termes: «Nous ne vivons pas dans un monde où la communication s'effectue par signaux de fumées. La providence nous a gratifiés de la parole afin que nous en exploitions les multiples possibilités pour communiquer.» Evoquant l'époque où le gouverneur de la Banque d'Italie ne s'exprimait publiquement que deux fois l'an, Tommaso Padoa-Schioppa – membre du Conseil exécutif de la BCE récemment cité par le Wall Street Journal – prévoyait de son côté un retour partiel dans cette direction.

«Nous n'avons pour l'instant pas perçu de changement au niveau de la communication. Si ce n'est la fin des gaffes de Monsieur Duisenberg», réagit Andreas Höfert, économiste de UBS, lequel qualifie pourtant de «langue de bois» le discours actuel de la BCE. La réorientation de la stratégie de communication suscite des réactions divergentes. «Leur souci est d'éviter ce qui est arrivé à la Fed (ndlr: Banque centrale américaine) l'an dernier et de ne pas tomber dans le piège de l'utilisation de mots trop spécifiques. Mais cela ne veut pas dire qu'ils deviennent moins transparents», analyse José Luis Alzola, économiste de Citigroup cité par le Financial Times de mardi. Au vu de la politique de communication toujours plus transparente menée depuis 1994 par la Fed, le relèvement d'un quart de point opéré le 30 juin, le premier en quatre ans, était tellement anticipé qu'il n'a pour ainsi dire pas provoqué de réactions.

Selon d'autres avis, l'abandon d'un langage codé risque de ramener les banques centrales à leurs anciennes mauvaises habitudes de rétention d'information. «Si ce changement cachait une volonté de communiquer moins, ce serait un pas en arrière», commente Thomas Mayer, économiste de Deutsche Bank. Son confrère de Bank of America, Holger Schieding, suggère pour sa part que la véritable raison de l'abandon en avril du vocable «approprié» tient aux dissensions à propos d'un éventuel abaissement des taux d'intérêt sur lequel la BCE ne voulait pas s'exprimer. Le changement aurait finalement été présenté comme une nouvelle approche de communication.