La création de la DTC recouvre beaucoup plus qu'un simple changement de sigle. Jusqu'ici, De Beers contrôlait le marché en rachetant systématiquement les surplus, ce qui l'a placé à la tête de stocks évalués à plus de six milliards de francs. Ceux-ci permettaient d'influencer les prix à tout moment pour casser les reins d'un outsider, analyse le producteur britannique Gavin MacFadyen, qui a dirigé une longue enquête sur les activités du groupe sud-africain. Les actionnaires ont fait pression pour diminuer ces stocks, dont la valeur devrait être ramenée à quatre milliards de francs à la fin de l'an prochain.
Deuxième raison, le caractère monopolistique du groupe le rend indésirable sur son principal marché, les Etats-Unis, où le Sherman Act interdit les positions dominantes. En 1996, un cadre de De Beers en visite dans sa famille avait fait l'objet d'un mandat d'arrêt lancé par le FBI. La compagnie espère que son ouverture facilitera ses relations avec les autorités américaines.
La troisième et plus récente raison expliquant le changement de stratégie est la campagne menée depuis seize mois par Partnership Africa Canada et Global Witness contre les «diamants de la guerre» (Le Temps du 11 juillet). Dans la foulée de l'embargo imposé par l'ONU le 5 juillet sur le trafic illégal de diamants provenant de Sierra Leone, le G8 étudie la création d'un groupe d'experts indépendants qui surveilleraient de plus près ce commerce pour prévenir les conflits. A terme, cela signifie la fin du droit de regard quasi exclusif que De Beers exerçait sur les flux de pierres précieuses. Anticipant ces évolutions, le numéro un mondial du diamant passe à l'offensive. Les relations avec les «sightholders» qui reposaient jusqu'ici sur des «gentlemen's agreements» seront formalisées et accompagnées d'un code de conduite. Ce dernier garantit notamment que les diamants ne viennent pas de zones où ils serviraient à financer des conflits, où des enfants sont exploités et où la santé des personnes est en danger. Depuis mars, De Beers accompagne ses lots de certificats attestant qu'ils ne contiennent pas de «diamants de guerre».
Voilà pour le volet moral. Symétriquement se déploie un volet plus commercial. Premièrement, les «sightholders» seront poussés à faire davantage de marketing et suivis en fonction de leurs résultats. Surtout, le groupe sud-africain qui finançait seul jusqu'ici, à hauteur de 270 millions de francs par an, les campagnes de marketing vantant le diamant «pur et éternel» demande aux autres acteurs du commerce de doubler cette mise pour stimuler la demande. Le nom de la compagnie disparaîtra des campagnes d'annonces générales et sera remplacé par un logo, à l'instar de celui introduit par les producteurs de laine vierge.
Reste à savoir si la demande suivra. Car l'offre, elle, augmente. Le monopole russe Alrosa (2,5 milliards de francs de diamants bruts en 1999) a déjà annoncé que la nouvelle politique de De Beers implique une renégociation «fondamentale» des relations entre les deux groupes. Le virage stratégique du sud-africain suscite pour l'instant plus de questions qu'il n'apporte de réponses. S'il renonce à son rôle de régulateur par les stocks, on ne sait pas encore quel autre mécanisme fixera les prix à moyen et long
terme.