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«Avec BEPS, on revient au bon sens»

Chef fiscal de l'OCDE et grand architecte du paquet de mesures de lutte contre l'optimisation fiscale abusive des multinationales, le Français Pascal Saint-Amans le dit; la fiscalité internationale entre avec BEPS dans l'ère de la coopération

Le Français Pascal Saint-Amans, c
              hef fiscal de l'OCDE. — © Keystone
Le Français Pascal Saint-Amans, c hef fiscal de l'OCDE. — © Keystone

Pourquoi le paquet BEPS, présenté lundi par l’OCDE, est tout sauf une usine à gaz? Directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’organisation parisienne, Pascal Saint-Amans décrypte la portée d’un arsenal complet et concret qui empêchera à l’avenir les multinationales d’échapper indûment au fisc.

Le Temps: évolution, jalon, révolution: comment définissez vous le paquet de mesures présentées ce lundi 5 octobre?

Pascal Saint-Amans: En novlangue, on peut parler de changement complet de paradigme. Les règles de la fiscalité internationale ont permis l'éclosion d'une industrie d'évasion fiscale légale mais massive. Les consensus est aujourd'hui à peu près total parmi les pays de l'OCDE et du G20, mais aussi dans nombre de pays en développement: c'est terminé. On ne peut plus laisser les règles existantes faire baisser les recettes fiscales. On change donc d'ère. On revient au bon sens, on réaligne la localisation des profits et des activités économiques. On met fin à l'abus des conventions fiscales en restaurant leur objectif. Si on veut garantir la souveraineté réelle des Etats, il faut des règles pour qu'ils puissent se protéger. C'est l'objectif. Les 15 actions très concrètes de BEPS changent l'environnement fiscal dans sa totalité. Avec de nouveaux standards minimaux.

Précisément, l'ensemble est-il vraiment contraignant, avec force de loi?

P.S.-A.: D'un rapport et d'une action à l'autre, c'est variable. Mais ce qu'il faut avoir à l'esprit, c'est que l'ensemble a été adopté par consensus: il y a un accord de tous sur la paquet global. Certaines actions devront être appliquées par tous, tout de suite. Ce sont les standards minimaux. Qui portent par exemple sur l'échange spontané et obligatoire des rulings, sur les pratiques fiscales dommageables ou sur l'abus des conventions fiscales. Ensuite, il y a un deuxième bloc de mesures qui ne sont pas de nouveaux standards minimaux mais des adaptation de mesures existantes, comme les nouvelles règles applicables aux prix de transfert. Elles sont moralement contraignantes, les délais sont plus souples mais les pays sont d'acord de bouger très vite. Enfin, il y a un troisième bloc de meilleures pratiques et d'approches communes, vers lesquelles les pays sont d'accord de converger. Avec des clauses de "revoyure".

Google, Starbucks, Amazon: certains géants mondiaux ont déjà été rattrapés par le gendarme fiscal pour leurs montages agressifs. Sont-ils les premières victimes de BEPS?

P.S.-A.: BEPS n'a pas pour objet de faire des victimes, mais de clarifier les règles du jeu. Les mécanismes de suivi permettront d'examiner la cohérence de l'application des mesures et de l'évolution des règles. Les exemples dont vous parlez sont plutôt à l'origine de BEPS. On a fait tout cela en constatant qu'il y avait une grande frustration des Etats face à l'évasion fiscale légale et pour éviter que chacun prenne des mesures unilatérales.

La Suisse est en passe d'adopter une réforme fiscale d'envergure, fondée sur une patent box qui exige de réelles activités de recherche et de développement et sur une baisse assez générale des taux d'imposition. Cette réforme est-elle en phase avec BEPS?

P.S.-A.: La réponse est oui. C'est en ligne avec BEPS. On passe d'un monde de compétition fiscale dommageable avec des trous et des défaillance à une compétition fiscale où les pays peuvent alléger la fiscalité à condition de n'attirer que des vrais investissements. On ferme le business des boîtes aux lettres.

Comment s'organisera le suivi de BEPS? Par un examen par les pairs, comme pour l'entraide administrative en matière fiscale?

P.S.-A.: Oui. Pour ce qui est du respect des standards minimaux, ce sera une logique d'examen par les pairs, relativement intrusive, mais peut-être un peu plus légère que ce qui se fait sur l'entraide. Nous n'en sommes pas encore du tout à parler de listes noires ou grise. De manière générale, l'ensemble fera l'objet d'un suivi de cohérence. On entre dans un environnement coopératif.