Pas besoin d’être Elon Musk pour créer la rupture, les PME en sont aussi capables
Forward (2/8)
Téléphone intelligent, café en capsules, écoute de musique en ligne, l’innovation de rupture emporte tout sur son passage. En rendant l’existant obsolète, elle confère à son inventeur un avantage déterminant. Dans un environnement toujours plus concurrentiel, les PME ont tout intérêt à s’y intéresser

Découvrez tous les mardis notre série liée au forum FORWARD: «Ma PME dans 5 ans, les nouvelles dimensions de l’innovation»
Episode précédent: Une PME suisse veut réduire l’empreinte écologique du démaquillage
Derrière toute innovation de rupture, il y a une vision forte. Une foi inébranlable en un monde nouveau, un territoire à explorer. Cette quête d’un autre paradigme sert de boussole aux start-up. «Pour une PME, c’est beaucoup plus difficile», constate Eric Fumeaux, consultant en innovation. Avant d’avertir: «Elles vont de plus en plus devoir s’y mettre pour survivre.»
Basée à Vevey, la société Produits Dentaires SA n’a pas attendu ce conseil pour sortir de sa zone de confort. En mars dernier, elle a lancé un nouveau produit pour améliorer le nettoyage et la désinfection lors des traitements de racines. L’innovation a immédiatement séduit les praticiens. A tel point que l’entreprise prévoit de commercialiser deux millions de pièces cette année.
Les PME vont de plus en plus devoir se mettre à l’innovation de rupture.
Sur le papier, rien ne prédestinait cette société d’une cinquantaine d’employés à créer une telle rupture. Fondée en 1940 par William Gehrig, l’entreprise suit durant 70 ans le même modèle: elle crée des produits en concertation avec ses distributeurs. Mais le XXIe siècle coïncide avec une intensification de la concurrence. Troisième génération à la tête de la société, Nicolas et Yann Gehrig font confiance à David Brendlen, ingénieur en biomatériaux, chargé de la recherche et du développement au sein de leur société.
A lire: «La bonne santé des PME romandes n’est pas le fruit du hasard»
En 2012, une réflexion de fond est entamée sur la gamme de produits proposée. «J’ai contacté Pierre Machtou, une référence dans le milieu dentaire européen. Le courant est passé. Ensemble, on a analysé tout le catalogue, raconte David Brendlen. Cet examen a montré qu’il était pertinent de resserrer nos activités autour de l’endodontie, le traitement à l’intérieur de la dent.»
Quitter les sentiers battus
En échangeant avec les dentistes, David Brendlen comprend que les solutions actuelles pour irriguer les canaux empruntés pour dévitaliser les dents ne donnent pas entière satisfaction. Très vite, il entrevoit ce nouveau territoire à explorer.
«Il est arrivé avec un dessin au crayon très précis», se souvient Pascale Van Landuyt, conseillère en innovation chez Alliance. Rattaché à la vice-direction Innovation de l’EPFL, ce programme fait le lien entre les entreprises et les milieux de la recherche. Elle aiguille la société vers la Haute Ecole Arc, «le partenaire idéal car il fallait des compétences pour modéliser le flux de liquide dans le dispositif, mais aussi maîtriser l’injection plastique».
Lire aussi: L’EPFL doit soutenir les PME dans leur transition digitale
Car jusque-là, les «canules» d’irrigation étaient principalement fabriquées en acier inoxydable. Un matériau semi-rigide qui limitait la fluidité du geste lors de l’intervention. Le plastique s’impose comme une alternative prometteuse. Reste à donner vie à l’innovation. David Brendlen raconte alors les longs mois passés à créer les prototypes, identifier les bons partenaires industriels. Sa direction le suit, investissant plusieurs millions de francs dans le projet, une somme considérable pour une entreprise de cette taille.
Sept ans après le début de la réflexion, le produit est lancé. Pour le fabriquer, une nouvelle entreprise, Cemiplast, a été créée à Saint-Imier (BE). Vu le succès rencontré, une deuxième ligne de production va être ouverte.
Peu de PME pratiquent la rupture
De tels exemples sont rares dans le paysage des PME suisses. «Créer de la «disruption», cela veut dire être capable de penser différemment, de faire table rase du passé, remarque le consultant Eric Fumeaux. Pour une petite entreprise, c’est plus compliqué à réaliser.» David Brendlen renchérit: «Dans une entreprise familiale, il faut être capable de transcender le sentiment d’appartenance génétique.»
Et même si cette barrière tombe, bien d’autres obstacles pavent la voie de l’innovation pour les petites sociétés. A commencer par les ressources. Autre écueil: l’entreprise va souvent devoir conclure des partenariats de recherche ou aurait intérêt à conjuguer ses efforts avec d’autres PME. «Mais ce n’est pas assez inscrit dans la culture suisse», note Eric Fumeaux.
Dans une entreprise familiale, il faut être capable de transcender le sentiment d’appartenance génétique
Dans leur manche, les PME ont toutefois aussi des atouts. «Ces entreprises sont beaucoup plus proches de leur marché final, relève la conseillère en innovation Pascale Van Landuyt. Elles sont capables de mieux cerner les besoins de leurs clients.» Et lorsqu’une opportunité est identifiée, «elles sont beaucoup plus agiles et vont pouvoir réagir rapidement», ajoute Eric Fumeaux.
Des chances à saisir, il n’en manque pas. Pascale Van Landuyt relève qu’au-delà du produit on peut aussi révolutionner des techniques de fabrication. «Et plus les procédés de production seront complexes, mieux on sera protégé», souligne David Brendlen.
A lire encore: Les artisans de la nouvelle vitrine sans verre de Hublot se nomment FiveCo et Dietlin
L’aspect humain s’avère crucial
Mais au cœur de ce processus se trouvent surtout des personnalités hors normes, capables de penser différemment et de déplacer des montagnes pour arriver à leurs fins.
Le témoignage de Xavier Dietlin, directeur de la PME Dietlin Artisans Métalliers, est éloquent: «J’ai toujours été en rupture. Je n’ai pas peur de bousculer», confie celui qui a révolutionné la présentation des montres en supprimant la barrière vitrée entre le produit et le client. La conseillère en innovation Pascale Van Landuyt complète: «On sent chez David Brendlen une énergie énorme. Ce n’est pas à la portée de tout le monde.»
J’ai toujours été en rupture. Je n’ai pas peur de bousculer.
Ces personnalités atypiques vont devoir savoir s’entourer et convaincre. Pour Xavier Dietlin, la rencontre avec Jean-Claude Biver, alors directeur de la marque Hublot, se révèle déterminante.
Revers de la médaille: c’est l’ébullition permanente. Xavier Dietlin le confirme: «Je dois me renouveler en permanence. Cela a parfois un côté épuisant. Mais je ne peux pas imaginer vivre autrement.»

Découvrez tous les mardis notre série liée au forum FORWARD:
«Ma PME dans 5 ans, les nouvelles dimensions de l’innovation», le mardi 3 mars 2020 à l'EPFL.
Programme et inscriptions: forward-sme.epfl.ch
Le prochain épisode s’intéressera aux PME qui, au contraire, prospèrent dans la continuité.