Analyse
La plus folle bulle financière depuis le XVIIe siècle a porté la cryptomonnaie au-delà de 11 000 dollars mercredi. Sans que le grand public n’ait vraiment adopté le bitcoin

Il n’aura fallu que quelques heures au bitcoin pour passer de 10 000 à 11 000 dollars mercredi. Le cours de la monnaie virtuelle a ainsi été multiplié par douze depuis le début de l’année, dans l’une des plus spectaculaires flambées de l’histoire. On pourrait croire que «cette fois, c’est différent», pour reprendre l’une des expressions les plus utilisées en finance. Elle est brandie lorsqu’on ne comprend pas un phénomène ou pour souligner que les règles traditionnelles ne s’appliquent plus. Ou encore, plus fréquemment, pour vendre un produit financier. Ce sont les mots les plus dangereux de la finance.
L’ampleur de la hausse du bitcoin est pratiquement sans égal, en comparaison historique. Son cours a bondi de 1456% en un an – de quoi multiplier une mise par 15,5. A côté, les deux dernières grandes envolées boursières font pâle figure. Les valeurs technologiques avaient gagné 109% dans l’année qui avait précédé l’explosion de la bulle internet en mars 2000. Au plus fort des «subprime», le prix des maisons neuves n’avait progressé que de 8,6% aux Etats-Unis dans les douze mois avant le krach immobilier de l’automne 2007.
Battu par la tulipe
Aucun marché boursier n’a jamais fait mieux sur un an que les 166% (ajustés de l’inflation) de la bourse norvégienne en 1979, selon le Credit Suisse Global Investment Returns Yearbook. Il faut remonter au XVIIe siècle et à la tulipomanie hollandaise pour trouver plus fort que le bitcoin. A l’époque, le bulbe de tulipe avait gagné 2200% au cours des quatre derniers mois avant son effondrement. Contre 295% «seulement» pour le bitcoin depuis fin juillet.
L’une des explications souvent entendue à l’explosion actuelle du bitcoin est que le grand public l’aurait adopté. Ce n’est pas le cas. Bien moins de 1% de la population mondiale en détient ou en a détenu. Car effectuer des transactions en bitcoins demeure complexe. Vu l’ampleur des vols de cryptomonnaies, la nécessité de protéger la «clé» permettant d’accéder à un portefeuille virtuel l’emporte encore sur la facilité d’utilisation. Mais il suffira qu’une application mette l’achat ou la vente de bitcoin à portée d’un ou deux clics pour accélérer prodigieusement l’adoption du bitcoin, donc sa demande et son prix.
Un autre facteur haussier pourrait venir des banques. Si elles établissent une connexion avec les plateformes qui assurent la conversion entre monnaies traditionnelles et «cryptos», les volumes d’échange de bitcoins prendraient là encore l’ascenseur.
Vieux comme les marchés
Ces scénarios haussiers se heurtent néanmoins à deux sérieux obstacles. Le premier est d’ordre technologique: la difficulté à créer un «e-banking des cryptos» simple et accessible à tous. Le second sera plus ardu: l’absence d’encadrement des monnaies virtuelles, avec pour corollaire le risque très marqué de blanchiment, tient les banques à distance. Plus d’une centaine de hedge funds investissent dans des cryptomonnaies, mais ils ne ciblent pas M. et Mme Tout-le-monde.
Les choses seront-elles différentes lorsque le bitcoin sera régulé? Il devrait surtout être interdit, déclarait mercredi Joseph Stiglitz. Pour le Prix Nobel d’économie 2001, la cryptomonnaie «ne doit son succès qu’à son potentiel de contourner les lois» et «ne remplit aucune fonction sociale».
Le bitcoin est présenté comme une monnaie, un moyen de stocker de la valeur et une alternative au système financier actuel. Sauf qu’aucune de ces caractéristiques n’explique son envolée. Les acheteurs de 2017 veulent seulement profiter de la hausse de ce nouvel actif particulièrement vif. Un réflexe vieux comme les marchés. Pour Joseph Stiglitz, il s’agit bien d’une bulle, «qui donnera beaucoup de frissons à beaucoup de gens quand elle se gonflera et quand elle se dégonflera». Cette fois, ce ne sera pas différent.