En 2014, le bitcoin a été le pire investissement que quiconque ait pu décider de faire. Et comme si cela ne suffisait pas, la chute semble sans fin. Après avoir perdu les deux tiers de sa valeur l’an dernier, la cryptomonnaie a encore cédé 30% depuis le début de l’année.
Rencontré au Forum économique mondial de Davos, le Prix Nobel d’économie 2013, Robert Shiller, était à peine blasé sur ce sujet: «Les bulles se forment et elles explosent. C’est vrai pour le bitcoin, comme pour les autres actifs.» Pour le spécialiste des marchés financiers et de la finance comportementale, la cryptomonnaie représente le parfait exemple d’une bulle, tellement parfait qu’il le présente régulièrement à ses étudiants de Yale, pour l’engouement qu’un actif peut susciter.
La bulle n’en finit donc pas d’exploser. Le bitcoin ne cesse de perdre des adeptes, surtout ceux, arrivés tardivement et qui ont acheté au plus haut et revendu au plus bas.
Un jour adulée, le lendemain oubliée? Pas tout à fait. Les adeptes n’ont pas lâché l’affaire et ils sont encore nombreux à croire à un développement inéluctable de la monnaie virtuelle, décentralisée et sans régulateur. Parmi les plus connus, les frères Winklevoss ont lancé un nouveau projet. Ces deux vieilles connaissances de Mark Zuckerberg – qui l’avaient poursuivi pour leur avoir volé le concept de Facebook – s’apprêtent à lancer un «Nasdaq du bitcoin»: Gemini, cette plateforme qui serait «l’écosystème dont le bitcoin a besoin» pour développer son potentiel.
Cette démarche – comme toute démarche visant à améliorer l’efficience de ce marché – a un sens. Sur la même plateforme, on peut observer des cours du bitcoin multiples, déconnectés, laissant ainsi des écarts importants.
Jeudi dernier, il était possible d’acheter un bitcoin contre 220 dollars et le revendre en échange de 371 dollars, si l’on choisissait la bonne contrepartie, selon l’un des agrégateurs de cours les plus utilisés, Bitcoincharts.com.
L’initiative des frères Winklevoss n’est pas isolée. Pas une semaine ne se passe sans que des nouveautés arrivent, montrant que les «bitcoineurs» de la première heure n’ont pas lâché l’affaire.
Ces irréductibles feront en sorte que le bitcoin ne disparaisse pas complètement dans les limbes, aux côtés d’autres innovations d’abord encensées puis oubliées. Ce d’autant qu’à certains égards, l’outil s’est institutionnalisé. Certaines entreprises ou magasins permettent par exemple d’effectuer des paiements en bitcoins. On peut donc imaginer que la cryptomonnaie reste en quelque sorte le gadget d’une communauté marginale. Ainsi, six ans après ses débuts, c’est sans doute la fin du rêve de conquête mondiale, d’une planète aux portefeuilles entièrement virtuels, d’un moyen de paiement décentralisé et sans autorité de régulation, sans banque centrale pour faire tourner la planche à billets. C’est une bonne chose au moins sur un point, parce que personne n’a à gagner d’une monnaie dont les fluctuations ressemblent à un grand huit. A côté, la fin du taux plancher entre le franc et l’euro, c’est de la franche rigolade.
Pourtant, en réalité, personne n’a intérêt à ce que le bitcoin tombe dans l’oubli. Car il est bien plus qu’un gadget et son apport peut encore être immense. L’intérêt principal de la cryptomonnaie réside dans sa technologie.
Dans un livre publié fin janvier*, un éditorialiste et un journaliste du Wall Street Journal, Paul Vigna et Michael Casey, estiment même qu’il s’agit de «l’une des innovations les plus puissantes dans la finance au cours des cinq cents dernières années».
Le bitcoin fait tomber des barrières solidement installées dans le monde de la finance. Il permet des transactions immédiates et gratuites à travers le globe. Il contourne ainsi des milliards de dollars de commissions, frais de transferts ou autres. Et il prend de vitesse n’importe quelle banque ou société qui permet de transférer de l’argent ou de simplement payer dans un magasin.
Car derrière le bitcoin, il y a une base de données des transactions appelée «blockchain». Si on l’exprime de façon un peu simpliste, pour intégrer ce registre, les transactions une fois réalisées sont vérifiées informatiquement par des «mineurs». Elles intègrent ensuite la chaîne et ces derniers reçoivent des bitcoins neufs (c’est ainsi que la monnaie est créée) en échange de ce service à la communauté. Ainsi, toute une série d’intermédiaires sont rendus inutiles: dans le cas du paiement dans un magasin, ce serait l’émetteur de cartes de crédit, la banque, le fournisseur de terminaux de paiement, etc.
Pour ces acteurs, c’est une menace directe à laquelle ils peuvent dès maintenant se préparer. Pour le commun des mortels c’est un progrès immense, qui, dans un XXIe siècle dominé par Internet et l’immédiateté, aurait déjà pu ou dû se produire.
* The Age of Cryptocurrency: How Bitcoin and Digital Money Are Challenging the Global Economic Order, Paul Vigna et Michael Casey, St. Martin’s Press, janvier 2015.
En réalité, le bitcoin est bien plus qu’un gadget et son apport peut encore être immense, grâce à sa technologie