C’est une guerre civile qui guette le monde du bitcoin. Le cœur du conflit? Avec l’utilisation grandissante de la cryptomonnaie, les transactions sont devenues plus lentes. Trop lentes. «Le bitcoin est fondé sur un algorithme sur lequel travaillent des développeurs en permanence pour l’améliorer. Le groupe propose régulièrement des mises à jour qui sont acceptées par la communauté», explique Antoine Verdon, entrepreneur et investisseur, spécialiste des technologiques financières (fintech). 

Or la dernière amélioration en date ne fait pas l’unanimité. Jusqu’ici, les transactions sont vérifiées par des «mineurs» et sont inscrites dans des blocs qui s’ajoutent à la blockchain. La lenteur vient de l’accroissement des échanges, qui saturent les blocs. D’un côté, les développeurs ont donc proposé un système, appelé SegWit2x, qui pourrait fluidifier le système et proposant une «surcouche» à ces blocs. Elle accueillerait toutes les transactions de moyenne importance, ne gardant pour les blocs que la dernière transaction ou celles qui nécessite une plus grande sécurité.

Deux monnaies, deux fonctions

«L’idée serait que l’achat d’un café, par exemple, n’aurait pas besoin d’être inscrit dans la blockchain immédiatement. Mais, pour tout ce qui serait d’une plus grande importance et nécessiterait des moyens plus sécurisés, on utiliserait le système actuel. Comme certaines transactions requièrent l’intervention d’un notaire», explique Alexis Roussel, fondateur de la société neuchâteloise Bity.com, qui propose une plateforme de négoce de bitcoins ou d’autres cryptomonnaies.

De l’autre côté, il y a les mineurs, qui craignent de voir leur rôle dans la communauté se réduire avec un tel changement. Et, avec, leurs perspectives de gains, alors qu’ils ont investi des sommes considérables dans un matériel informatique extrêmement puissant. Pour eux, il existe un autre moyen de rendre sa rapidité au système: agrandir la taille des blocs, pour y inscrire davantage de transactions.

«Hard fork», dans le jargon

Il y a une date fatidique à ce conflit: d’ici au 1er août, soit le consensus se forme autour du nouveau logiciel, soit la monnaie se scinde dans un processus appelé «hard fork», selon le jargon des développeurs. Les tensions ont été largement visibles ces dernières semaines sur le prix de la monnaie. Après une série de records depuis début janvier – la valeur du bitcoin en dollar a même dépassé celle de l’or en mars dernier pour la première fois –, la cryptomonnaie a perdu environ 15% de sa valeur depuis juin.

En fin de semaine pourtant, le bitcoin reprenait des couleurs, un consensus se dessinant autour de l’utilisation du nouvel algorithme, qui a été lancé il y a environ une semaine. Pour être considéré comme admis par la communauté, il faut qu’il soit utilisé pour enregistrer au moins 80% des transactions et ce, pendant deux jours consécutifs au moins. C’était le cas pendant la journée de jeudi et vendredi, selon le site coin.dance, qui mesure l’activité sur la blockchain.

Lettre à la poste ou bain de sang

Pour Antoine Verdon, la scission a de grands risques de se produire. «Il existera probablement deux types de bitcoin, l’un avec la fonction de transaction, l’autre d’infrastructure.» Alexis Roussel est moins sûr: «On ne sait pas si la scission va se produire, il faut rester prudent. La question est très émotionnelle dans la communauté et, en général, soit les changements y passent comme une lettre à la poste, soit ils se terminent dans un bain de sang.» Une communauté qui compterait quelque 20 millions de personnes, selon l’expert. Alexis Roussel dit vouloir s’assurer qu’aucune transaction sur sa plateforme si une séparation doit se produire et tant que le fonctionnement définitif ne sera pas clarifié.

Dans un tel cas de figure, le détenteur d’un bitcoin se retrouvera avec deux bitcoins, utilisable avec l’un des deux systèmes. La scission d’une monnaie virtuelle s’est déjà produite, avec l’ether, où deux devises cohabitent et affichent une valeur différente. L’une des deux – l’ether standard (ETH) – est toutefois devenu prédominant.

A voir: Le bitcoin va-t-il exploser? Antoine Verdon répond aux questions des internautes


Une bombe à retardement?

Le «hard fork» n’est pas la seule préoccupation du monde des cryptomonnaies. L’autre vient d’un phénomène plus récent, la multiplication des «ICO», les «initial coin offerings», qui permettent à des start-up de lever des fonds en monnaies virtuelles pour financer leur projet. Aussi appelées des ventes de jetons (token sales), elles ont pu récolter l’équivalent de 1,3 milliard de dollars, la plupart du temps en bitcoin ou en ether, et souvent en l’espace de quelques minutes à peine.

Le phénomène existe depuis le lancement de l’éther, qui est la première «ICO», mais il s’est accéléré au point que les montants levés cette année sont déjà six fois supérieurs à ceux de l’an dernier, selon un rapport publié la semaine dernière par Autonomous Research, une société spécialisée dans la recherche financière. Ces ICO sont à mi-chemin entre l’IPO et le crowdfunding.

Or «malheureusement, beaucoup d’ICO sont frauduleuses et souhaitent profiter de l’excitation générale en utilisant les médias sociaux comme instrument de promotion et l’absence de protection des consommateurs», a souligné le rapport. Pire: «Les gens disent que les ICO sont fantastiques pour l’ether, regardez le prix [qui est passé de moins de 10 dollars pour un ether en janvier à près de 200 en fin de semaine de dernière, ndlr]. Mais c’est une bombe à retardement», a expliqué Charles Hoskinson, cofondateur de l’éther, dans une interview à Bloomberg. Il considère que les entreprises en font trop, alors que certaines des tâches réalisées par des ventes de jetons pourraient l’être avec les blockchain existantes. «Les gens sont aveuglés par l’argent facile et rapide.»

Lire aussi: Ne dites plus «IPO», dites «ICO»