Blockchain et nouvelles espèces numériques
Cryptovalley
Les contrats intelligents basés sur la technologie de la blockchain ouvrent un nouvel univers de relations commerciales

La chronique «Cryptovalley» paraîtra un samedi sur deux.
Lors d’une récente conférence sur la blockchain à Zurich, j’ai eu la chance de découvrir une nouvelle espèce de plante au détour d’un couloir du Gottlieb Duttweiler Institut. D’une hauteur de 80 centimètres, elle me regardait en agitant doucement sa tige mécanique et en roulant les lumières LED qui lui servent de pistil. Créée par Primavera De Filippi, juriste et chercheuse au CNRS et à Harvard, cette nouvelle espèce est le fruit d’une expérience artistique visant à utiliser la blockchain pour imiter les processus naturels de reproduction végétale.
Tout comme une fleur attire les abeilles avec ses étamines, le Plantoid (c’est son nom) attire les humains intrigués par ses couleurs et sa mécanique. Il les invite à lui verser un montant en bitcoin, remerciant les donateurs par une petite danse. Une fois la somme de 2 bitcoins (environ 11 000 francs) réunie, un smart contract (contrat intelligent) intégré lance une procédure d’appel d’offres automatisée et choisit un artiste à même de fabriquer un nouveau spécimen intégrant l’ADN (le code source) du premier.
Mécanisme pyramidal
Le créateur est rémunéré par le smart contract dès que toutes les exigences fixées par le contrat sont remplies et que le nouveau Plantoid est connecté à la blockchain. Le système est renforcé par un mécanisme pyramidal: les créateurs d’une fleur gagnent un pourcentage de l’argent récolté par toutes les fleurs suivantes issues de la nouvelle branche, ce qui les incite à donner une visibilité maximale à leurs créatures.
Ce projet artistique fait une démonstration des possibilités et des conséquences des systèmes décentralisés. Grâce à son grand registre mis à jour et distribué par des millions d’ordinateurs du monde entier, la blockchain a résolu un problème fondamental formulé dès les débuts d’Internet: comment donner à deux parties qui ne se connaissent pas la confiance nécessaire pour réaliser une transaction en ligne? Un smart contract n’est rien d’autre qu’une application simple comprenant une série de conditions de type «si X, alors Y» qui, une fois publiée, formalise une offre (ici, la promesse de payer un montant en échange de l’accomplissement d’un certain nombre de conditions) et permet à toute partie intéressée de remplir la part opposée du contrat.
Des smart contracts conclus aussi par des machines
Ce principe ouvre un nouvel univers de relations commerciales. C’est ainsi que des entreprises de transport vendront leur capacité résiduelle au plus offrant, que des banques rendront des produits financiers disponibles à toute personne remplissant des conditions prédéfinies, ou encore que des assurances publieront des contrats en ligne (je paie X francs si la condition Y vérifiée par la base de données Z se réalise) auxquels des parties intéressées pourront souscrire à l’autre extrémité.
L’autre idée mise en évidence par le Plantoid, c’est que des smart contracts peuvent être créés et conclus aussi bien par des humains que par des machines. Une impulsion humaine initiale suffit pour qu’un organisme artificiel puisse ensuite se déployer de façon entièrement autonome et inarrêtable. Leur nature décentralisée signifie en effet qu’une fois lancés, les smart contracts ne peuvent être stoppés qu’à condition de mettre hors ligne tous les nœuds du réseau. Et comme chacun peut télécharger et mettre à disposition une blockchain, cela ne serait possible qu’en supprimant Internet.
Peut-être verra-t-on ainsi bientôt des voitures-taxis autonomes affranchies de tout propriétaire, qui gagneront leur vie en s’inscrivant dans une flotte les mettant en contact avec des clients, payant des humains pour leur rendre des services (nettoyage, réparations) ou leur apporter des améliorations de confort ou esthétiques à même d’augmenter sa rentabilité et mettant automatiquement sur le marché de nouveaux véhicules au fur et à mesure que ses revenus le permettent. Dans ce scénario, la seule possibilité d’intervention de l’Etat serait de réglementer l’accès côté utilisateurs. Voilà qui constituerait un nouveau cas intéressant pour les autorités politiques et pour les fiscalistes.