La Bolivie se lance dans l’industrialisation du lithium

Matières premières Le pays andin a les plus grandes réserves de ce métal essentiel pour les batteries

La Paz va investir 925 millions de dollars pour son extraction, une somme record pour cet Etat

Pour les touristes qui le parcourent, le salar d’Uyuni, le plus grand désert de sel du monde, est l’image même du dénuement: une page blanche ouverte à 3600 mètres d’altitude, vide, plate, grande comme un quart de la Suisse. Pour les salariés de l’usine pilote de lithium de Lipi, il est au contraire l’espoir de voir un jour la Bolivie devenir l’émirat énergétique du XXIe siècle. Vêtus d’une combinaison rouge, cagoule sur la tête, les employés de l’entreprise minière d’Etat Comibol ressemblent à des cosmonautes. Ils s’affairent autour de sept piscines de 500 mètres de côté, creusées dans le sel et remplies par des pompes qui font remonter la saumure des profondeurs. «Le contenu de la première piscine est concentré par l’évaporation solaire et passe dans la deuxième piscine, puis la troisième jusqu’à obtenir au bout de huit mois la sylvinite, la matière première d’où est extrait le lithium», explique Gonzalo Alfaro, administrateur de l’usine.

Pour l’instant, seules quelques tonnes sont produites, à titre expérimental. Mais l’or blanc pourrait bientôt couler à flots. Le 16 août dernier, la Bolivie a signé un contrat avec l’entreprise allemande K-UTEC AG Salt Technologies pour la construction d’une usine de carbonate de lithium. D’ici 2019, Lipi se convertira en un véritable site industriel avec des piscines d’un kilomètre carré, de nouvelles unités de production de potasse et autres sulfates, générant 500 emplois directs et 2000 autres dans les communautés alentour. «C’est notre argent, nous n’avons aucun partenaire, nous sommes les propriétaires», s’est félicité Evo Morales, le président bolivien, qui s’apprête à débourser 925 millions de dollars, l’un des plus grands investissements jamais réalisés dans le pays.

Un enthousiasme à la hauteur des espérances que suscite ce métal, le plus léger de la table périodique des éléments. Le lithium, véritable éponge énergétique, est utilisé pour les batteries de téléphones portables, d’ordinateurs ou de voitures électriques. Pour les Boliviens, qui disposent de la plus grande réserve mondiale – neuf millions de tonnes sur quarante – c’est une chance historique, mais aussi un véritable défi. Comment garder le contrôle sur cette ressource, tout en tirant profit? Cette question, ici, n’est pas née avec le lithium. Dès l’époque coloniale, les Espagnols ont pillé les mines d’argent de Potosi. Puis ce furent les hévéas d’Amazonie cédés au Brésil, le salpêtre des côtes du Pacifique «volé» par le Chili, et enfin les guerres de l’eau et du gaz, dans les années 2000, pour empêcher la mainmise des multinationales sur ces deux ressources.

Ce lourd passif explique pourquoi, à Lipi, les 200 employés sont tous Boliviens. De jeunes «gardiens du lithium» capables de supporter l’isolement, un soleil implacable et une température qui peut descendre à –20°C. «Nous avons beaucoup d’abandons, mais c’est le prix à payer pour développer cette technologie bolivienne, avoue Gonzalo Alfaro. La colonie puis le libéralisme ont engendré beaucoup de pauvreté, et moi je suis ici pour appuyer le changement politique lancé par Evo Morales.» Cette stratégie 100% nationale est-elle cependant la bonne? Alors que la Bolivie dispose des principales réserves mondiales de lithium, sa production reste marginale comparée à celles de l’Australie, du Chili et de l’Argentine. Ces deux pays sud-américains ont, eux, ouvert leurs salars à des multinationales qui ont apporté capitaux et savoir-faire. Une «ingérence» qu’a toujours refusée la Bolivie, alors que son lithium mêlé de magnésium est beaucoup plus difficile à extraire.

Pour l’économiste Henry Oporto, spécialiste de l’industrie minière, ce «rêve» que l’on fait miroiter aux Boliviens pourrait très vite se dissiper: «Cela fait sept ans qu’Evo Morales a lancé cette filière, avec très peu de résultats, affirme-t-il. Pour un pays comme le nôtre, pauvre, sans expérience de ce type d’industrie, il aurait été plus raisonnable de faire un appel d’offres pour exploiter le lithium conjointement avec une entreprise étrangère. Cette nouvelle usine sera-t-elle adaptée au salar d’Uyuni? Les coûts de production seront-ils compétitifs? On ne sait pas.» Un pessimisme que ne partagent pas les villages alentour. A Colcha K, Chuvica ou San Pedro de Quemez, les habitants qui survivaient en essayant de préserver quelques arpents de quinoa et un maigre troupeau de lamas ont vu arriver l’électricité, l’eau courante, des routes. Tous, ici, veulent encore croire au lithium.

«Cela fait sept ans qu’Evo Morales a lancé cette filière, avec très peu de résultats»