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Boris Collardi: «La hausse du franc nous a poussés à réagir dans un délai très court»

Boris Collardi, directeur de Julius Baer, explique pourquoi la banque prévoit de supprimer 200 emplois. Il anticipe une résolution du litige fiscal avec les Etats-Unis cette année encore. Le programme de régularisation en Italie produira ses effets surtout en fin d’année

Boris Collardi: «La force du franc crée aussi des opportunités.» — © Keystone
Boris Collardi: «La force du franc crée aussi des opportunités.» — © Keystone

Avec un bénéfice net qui a presque doublé à 367 millions de francs en 2014 et un dividende, qui passe de 60 centimes à 1 franc par titre, Julius Baer a comblé les marchés. L’action a bondi de 8,6% à 40.84 francs lundi. A fin 2014, ses actifs sous gestion ont atteint 290,6 milliards (+14%). Mais c’était avant la levée du taux plancher: depuis, ils ont reculé de 9% à 265 milliards. Pour s’adapter à une base de revenus plus faible, la banque veut réduire ses coûts à hauteur de 100 millions de francs, dont 60 millions en 2015, grâce à différentes mesures d’économies. Elles incluent la suppression de 200 postes à plein-temps, à la fois via des fluctuations naturelles ou par le biais de licenciements. A fin 2014, la banque employait 5247 personnes, dont 3076 en Suisse.

Le Temps: Julius Baer prévoit de diminuer ses effectifs de 200 postes dans le cadre d’un programme de réduction des coûts de 100 millions par an annoncé lundi, dont 60 millions de francs en 2015. Ces réductions d’effectifs sont-elles directement attribuables à l’abandon du taux plancher? Ou incombent-elles à d’autres facteurs?

Boris Collardi: Non, on ne peut ne pas définir exactement quelle proportion résulte de la décision de la BNS ou d’autres facteurs. Comme toute société, nous devons, à tout moment, réévaluer si notre base de coûts est encore en relation avec notre capacité à générer des revenus. Donc, une partie des réductions de coûts incluses dans ce programme de 100 millions de francs auraient de toute façon été réalisées – qu’il y ait eu la suppression du taux plancher ou non. Un autre facteur est à considérer: nous arrivons maintenant à la fin de l’intégration des activités reprises à Merrill Lynch (IWM). A la fin d’un tel processus, nous pouvons mieux évaluer les coûts et les revenus pouvant résulter de la fortune sous gestion de ces activités. Cela nécessite d’effectuer certains ajustements par rapport aux coûts.

La hausse du franc suisse est une raison supplémentaire qui nous pousse à effectuer ces changements dans un délai très court. D’ici 6 à 8 semaines, les responsables des unités et les employés de chaque secteur doivent savoir comment nous allons mettre en place ce programme de réduction des coûts. Cela permet, d’une part, que toute l’organisation ait une vision claire pour le reste de l’année. Et, d’autre part, que les collaborateurs puissent se concentrer à nouveau sur la gestion des affaires.

– Selon vous, la force du franc représente «un vent contraire pour le secteur mais créée aussi des opportunités». Pensez-vous surtout à des acquisitions à l’étranger?

– Il y a différents types d’opportunités. Il y a bien sûr, d’une part, les acquisitions qui pourraient être réalisées hors de Suisse – car ces établissements réduiraient notre base de coûts en francs – mais, d’autre part, également dans notre pays. Les opportunités de rachat en Suisse vont augmenter: il y a actuellement un certain nombre de banques dont le rapport entre les coûts et les revenus avoisinent les 100%, ce qui n’est pas tenable à long terme. Je peux m’imaginer que certaines banques vont réfléchir cette année si elles souhaitent participer ou non au processus de consolidation en cours dans la gestion de fortune. Nous n’allons toutefois procéder à des rachats que si le prix est correct et si nous pouvons obtenir d’importantes synergies.

– De grandes acquisitions, à l’exemple de IWM (ndlr: les affaires de gestion de fortune hors Etats-Unis et Japon de Merill Lynch) sont-elles à nouveau envisageables?

– Des possibilités comme celles du rachat des activités de Merrill Lynch sont devenues plus rares en Suisse. On trouve beaucoup moins de grands éléphants dans la forêt suisse!

– L’appréciation du franc a-t-elle renforcé le statut de valeur refuge de la Suisse aux yeux des clients étrangers?

– La Suisse est et elle continue à être une valeur refuge. Cet élément contribue à amener encore un certain afflux d’argent. Toutefois, ce rôle n’est plus si important qu’en 2009, juste au sortir de la crise financière, alors qu’il y avait de grands doutes sur l’existence même de l’euro. Maintenant, cela ne suffit plus. Il faut pouvoir leur donner des opportunités d’investissement suffisamment attrayantes.

– Lors de la présentation des résultats, vous avez déclaré que Julius Baer allait continuer d’investir en Suisse. Dans quels domaines et avec quelles conséquences pour l’emploi?

– Je ne crois pas que nous aurons une croissance au niveau de l’effectif net en Suisse cette année. Par contre, nous allons continuer d’investir dans les fonctions situées au front, dans le contact avec les clients, pour l’ensemble du marché suisse ou aussi pour ceux qui gèrent des portefeuilles situés à l’étranger à partir de la Suisse. Toutes les fonctions qui sont des centres de profit disposent ainsi d’une certaine enveloppe pour la croissance. Pour les autres fonctions, nous sommes neutres ou allons réduire certains effectifs. Par exemple dans le support. Maintenant, si l’on reprend le nombre de 200 postes évoqués, cela représente 4% de l’effectif du groupe Julius Baer. En comparaison, l’an dernier, le taux de rotation du personnel a atteint 15%. Une partie de cette proportion est à mettre sur le compte de l’intégration des activités de Merrill Lynch. Mais même sans cela, le taux de rotation des effectifs se serait situé entre 5 et 10%. Je suis confiant qu’une bonne partie des emplois supprimés pourront être absorbés par des fluctuations naturelles. De plus, il reste beaucoup de postes ouverts sur l’ensemble du groupe. Certaines personnes pourront être replacées ailleurs au sein de notre institut.

– Vous apparaissez très confiants à propos d’une résolution du litige fiscal avec les Etats-Unis cette année. Pourquoi?

– C’est bien sûr le sujet le plus difficile à anticiper. Néanmoins, on peut observer que les banques de catégorie 2 ont avancé dans leur clarification des données du passé. Des progrès ont eu lieu aussi dans la catégorie 1 avec l’accord trouvé par Credit Suisse l’an dernier. Il y a de bonnes chances que l’on parvienne à avancer dans ce domaine.

– En matière de régularisation des avoirs des clients européens, qu’attendez-vous du côté de l’Italie? Les clients italiens, qui ont régularisé leurs avoirs, vont-ils laisser ensuite leur argent en Suisse?

– Notre expérience avec les clients d’Italie nous indique que les plus grosses fortunes préfèrent, en général, laisser leur argent en Suisse après un processus de régularisation. Une particularité avec l’Italie est que les clients attendent souvent le dernier moment avant la date butoir proposée pour participer à un tel processus, car ils ne sont jamais sûrs si le programme va être effectif ou non. Ils attendent ainsi souvent jusqu’à la fin du délai proposé et celui-ci est ensuite étendu. C’est pourquoi, il est probable qu’il y ait d’abord peu d’activité, puis un bond en seconde partie d’année, avec une possibilité d’extension des délais en 2016.

– Julius Baer va-t-elle reporter les taux négatifs sur ses grands clients?

– Non, nous n’allons le faire pour aucun client. Mais nous allons continuer à observer le marché.

– La hausse du dividende à 1 franc par titre représente-t-elle le nouvel ordre de grandeur avec lequel il faut compter durant ces prochaines années?

– Nous avons toujours eu une politique de dividendes assez prudente. Donc, il faut considérer ce montant de 1 franc comme le nouveau seuil en matière de dividendes pour le groupe Julius Baer.