Bradley Birkenfeld espère que les 104 millions reçus en inspireront d’autres
Fraude
L’ex-gérant de fortune d’UBS a reçu «la plus grande prime jamais payée» à un «whistleblower», en français «lanceur d’alertes». Il a permis au fisc américain de récupérer en tout plus de 5 milliards de dollars
«Il s’agit probablement du plus beau retour sur investissement de l’histoire du gouvernement fédéral», ironisait Dean Zerbe. Mardi matin à Washington, l’un des avocats du très célèbre lanceur d’alerte (whistleblower) Bradley Birkenfeld avait le sourire aux lèvres. Ce dernier, a-t-on appris hier lors d’une conférence de presse retransmise sur Internet, a reçu 104 millions de dollars (environ 98 millions de francs) de récompense de la part de l’Internal Revenue Service – l’IRS, le fisc américain – pour avoir fait connaître certaines pratiques d’UBS aux autorités nationales.
Dès le printemps 2007, cet ancien gérant de fortune a dénoncé les procédés de la banque visant à faciliter l’évasion fiscale des riches Américains. Bradley Birkenfeld a alors été accusé d’aide à la fraude, ce qui lui a valu une peine de 40 mois de prison. Après 30 mois, il a été relâché le 1er août dernier pour «bonne conduite» (voir ci-contre).
Conséquences de ces dénonciations, en 2009, UBS a payé 780 millions de dollars d’amende à l’IRS, reconnaissant dans la foulée avoir aidé 17 000 clients à cacher leur argent dans ses coffres. En outre, grâce à des auto-dénonciations, «plus de 5 milliards de dollars ont été récupérés», a rappelé Stephen Kohn, le second avocat de Bradley Birkenfeld. Avant de préciser qu’il s’agissait de «la plus grande récompense jamais fournie à un whistleblower. L’IRS envoie ainsi 104 millions de messages aux lanceurs d’alerte, aux banques et aux Américains qui ont des comptes illégaux à l’étranger».
Si l’intéressé – retenu à Boston pour respecter les conditions de sa liberté provisoire – n’a pas pu se rendre en personne au National Whistleblowers Center de Washington, son frère Douglas y a lu une lettre en son nom: «J’ai payé un prix énorme pour être la seule personne à avoir le courage de sortir des rangs, lisait Douglas Birkenfeld, parfois au bord des larmes. Je savais que lancer cette alerte mettrait fin à ma carrière en Suisse mais je ne m’attendais pas à ce que cela me prive de liberté dans mon propre pays.»
«Nous souhaitons maintenant obtenir le pardon présidentiel, concluait Stephen Kohn. Car pour mettre la main sur de gros poissons, il faut rassurer les lanceurs d’alerte, même s’ils sont reconnus coupables d’activités criminelles. Pour attraper des voyous, il faut des voyous.» Juste avant d’être incarcéré en janvier 2010, Bradley Birkenfeld s’était estimé «injustement puni».
«Cette énorme récompense n’est pas conforme à notre culture, juge Luc Thévenoz, directeur du Centre de droit bancaire et financier à l’Université de Genève. En Suisse, elle apparaîtra à beaucoup comme immorale dans son principe et dans son montant.»
Immorale, mais nécessaire? En juin, le bureau du fisc américain dédié aux whistleblowers annonçait au Congrès américain que 48 millions de dollars avaient été collectés durant l’année fiscale 2011. Bien moins que les 464 millions de dollars récupérés durant l’année 2010. «J’encourage les employés de banque qui veulent sortir des rangs à me contacter», clamait Bradley Birkenfeld dans sa lettre.
Cette démonstration pourrait-elle inquiéter les banques suisses qui ont envoyé les noms de leurs employés aux autorités américaines? «Elles sont déjà inquiètes indépendamment de cette décision, reprend l’universitaire. Je pense plutôt que cela va renforcer une certaine émotion anti-américaine. Chez nous, le whistleblower est perçu comme un délateur. Les Suisses critiquent parfois davantage ceux qui dénoncent les actes illicites plutôt que ceux qui les commettent.»
«En Suisse, cette récompense pourrait apparaître immorale»