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Bruxelles peine à limiter la durée maximale du temps de travail à 48 heures par semaine

La Commission européenne va devoir proposer une révision de la directive sur le temps de travail sous l'œil attentif de Londres qui déroge largement à la législation des Quinze. Mettre les Européens sur un pied d'égalité n'en sera que plus compliqué après l'arrivée, le 1er mai, des nouveaux Etats membres, dont une majorité pratique une flexibilité totale en la matière

En matière de temps de travail, tous les Européens ne sont pas égaux, loin de là. C'est ce que constate la Commission européenne dans un rapport publié hier à Bruxelles. Certes, une directive (loi) européenne – soucieuse de protéger les travailleurs «contre les effets néfastes pour leur santé et leur sécurité résultant d'une durée du travail excessive» – fixe depuis 1993 (sauf pour les médecins en formation et les employés du secteur des transports) à 48 heures la durée maximale du travail hebdomadaire. Mais si, dans l'Europe des Quinze, la moyenne du travail hebdomadaire reste de 38,2 heures, les Britanniques font usage à grande échelle d'une exception qu'ils ont négociée lors de la rédaction de la directive.

Cette clause dite d'«opt-out» prévoit que le travailleur peut volontairement renoncer à se voir appliquer la limite des 48 heures par semaine. Or, selon une enquête britannique réalisée en 2003, 33% des travailleurs du Royaume-Uni auraient signé un tel accord avec leur employeur. Selon la Commission européenne, au moins 4 millions de personnes, soit 16% de la main-d'œuvre britannique, travaillent actuellement plus de 48 heures par semaine. Un million et demi d'entre elles dépasseraient même les 55 heures hebdomadaires. Non seulement, note la Commission, le temps de travail des Britanniques n'a pas diminué après l'entrée en vigueur de la directive, mais les citoyens de Sa Gracieuse Majesté sont aujourd'hui plus nombreux qu'au début des années 1990 à travailler plus longtemps. Bref, conclut la commissaire en charge de l'emploi et des affaires sociales, Anna Diamantopoulou, qui suspecte d'ailleurs que le travailleur britannique ne jouit pas d'une liberté totale au moment d'accepter l'«opt-out», «la mise en œuvre de la directive est loin d'être satisfaisante».

Pratiques disparates

Les Britanniques sont les seuls à user de l'«opt-out» à grande échelle, mais d'autres pays sont tentés. Les Luxembourgeois l'utilisent pour les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration. L'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne envisagent de le généraliser, comme l'a fait la France, dans le secteur de la santé. Cette tendance nouvelle dans ces pays découle de décisions récentes de la Cour européenne de justice assimilant le temps de garde des médecins à du temps de travail effectif, quand les hôpitaux jugeaient qu'il s'agissait d'un temps de repos. Ces arrêts ont alarmé plusieurs Etats membres: l'Allemagne a averti que, si elle doit appliquer à la lettre les 48 heures hebdomadaires dans ses hôpitaux, elle devra recruter entre 15 000 et 27 000 médecins supplémentaires, ce qui entraînerait pour son budget déjà en difficulté un coût additionnel de 1,75 milliard d'euros (2,73 milliards de francs). Anna Diamantopoulou, qui s'interroge sur la «question de la définition» du temps de travail, avoue pourtant qu'elle n'a pas encore en la matière de «proposition de solution».

A Bruxelles, on se borne pour l'heure à constater les difficultés. Anna Diamantopoulou promet «que le chiffre magique des 48 heures est un chiffre intouchable», mais les pistes évoquées pour adapter la loi européenne aux défis qui lui sont posés sont maigres. Il faudrait, avance la Commission, donner plus de «flexibilité» aux entreprises et aux Etats membres dans la gestion du temps de travail, éviter d'«imposer des contraintes déraisonnables» aux milieux économiques tout en assurant la «protection et la sécurité des travailleurs», en leur permettant de mieux harmoniser vie professionnelle et vie familiale. «Je suis très déçu que la Commission ne se montre pas capable d'avancer dès maintenant des propositions concrètes pour remédier à cette situation», s'est indigné hier John Monks, le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats. La Commission promet des impulsions plus substantielles dès le printemps, mais l'exercice ne sera pas aisé. Car après le 1er mai, dix nouveaux pays auront leur mot à dire sur la révision de la loi. Or, dans «la majeure partie» d'entre eux, reconnaît la commissaire, «les problèmes sont conséquents», certains pratiquant, dit-elle, «une flexibilité totale».