«Les Etats-Unis se trompent d’ennemi. Le problème de surcapacité d’acier sur le marché mondial est bien réel, mais la responsabilité ne revient pas à l’Union européenne.» C’est en ces termes que, dépitée et presque en s’excusant, que Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du Commerce, a annoncé vendredi que la Commission venait de porter plainte contre les surtaxes américaines sur l’acier et l’aluminium européens, entrées en vigueur le même jour.

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Autre riposte: dans une vingtaine de jours, la Commission aura fini d’évaluer les conséquences des sanctions américaines. Elle frapperait alors à son tour et en conséquence les produits américains entrant en Europe d’une surtaxe. Une liste qui paraît anecdotique (beurre de cacahuètes, jeans Levi’s, jus d’orange, whisky Jack Daniel’s et motos Harley-Davidson) a déjà été déposée auprès de l’OMC.

«Entre alliés traditionnels»

Mais par-dessus tout, Cecilia Malmström a plaidé pour reprendre le dialogue «entre alliés traditionnels» pour sanctionner le vrai coupable de l’excès d’acier: la Chine, en l’occurrence. Pour ménager les Etats-Unis, la commissaire a annoncé avoir introduit une plainte à l’OMC contre la Chine. Motif: Pékin oblige les entreprises européennes à partager leurs technologies.

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La réponse européenne ne s’arrête pas là. En imposant des tarifs sur l’acier et l’aluminium européens, mais aussi canadiens et mexicains – les trois représentent 44% de toutes les importations d’acier au premier trimestre 2018 –, l’administration Trump a fait beaucoup de mécontents aux Etats-Unis mêmes. Plus particulièrement les entreprises qui importent les métaux pour la transformation. Selon un diplomate européen, Bruxelles compte en faire des alliées tactiques. Et les entreprises candidates sont nombreuses.

Perte de compétitivité américaine

A commencer par les membres de la Coalition of American Metal Manufacturers and Users. Cette association affirme que le prix de l’acier a déjà augmenté de 12% depuis mars. Selon elle, le fossé entre les prix américain, européen et asiatique se creuse, faisant perdre la compétitivité des entreprises américaines. L’Alliance of Automobile Manufacturers abonde, affirmant que les constructeurs ne pourront jamais passer la totalité du surcoût aux consommateurs.

Le Financial Times de vendredi donne l’exemple de Deere. Le constructeur d’équipements lourds utilisés dans les grands travaux se plaint aussi de la hausse des prix. Mais il espère y faire face grâce à un programme de réduction des coûts.

200 000 emplois perdus en 2002

Pour sa part, Alcoa, le géant américain de l’aluminium, compte demander une exemption à Washington. Ses deux fourneaux sont basés au Canada; dès lors, il devra s’acquitter des surtaxes à l’importation de sa propre production.

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«L’administration Trump vient d’ouvrir la voie aux mesures de rétorsion qui pénaliseront les exportations agricoles», se plaint Farmers for Free Trade, une association dont les membres sont présents sur le marché international, cité toujours dans le quotidien économique. Selon elle, l’agriculture américaine payera le prix fort et licenciera sans doute des dizaines de milliers d’ouvriers.

En 2002, environ 200 000 emplois avaient été détruits lorsque le président d’alors, George Bush, avait introduit une surtaxe sur l’acier. Condamnée à l’OMC, la mesure avait été levée après vingt et un mois.


Poison commercial

Bruxelles a les moyens de riposter aux attaques commerciales américaines. Mais les Etats-membres veulent-ils vraiment d’un conflit ouvert avec Washington?

Donald Trump dispose d’un allié sournois dans sa guérilla commerciale sur l’acier avec l’Union européenne: la défiance. La bataille, en effet, est inégale. Même si les négociations commerciales sont une compétence indiscutée de la Commission, seule à représenter les intérêts des Etats-membres dans les instances internationales, la politique refait toujours son apparition dans les moments de tension. Et qui dit politique, au niveau de l’UE, dit toujours risque de divergence, voire de collision, entre Bruxelles et les 27 autres capitales en ces temps de fièvre souverainiste et d’europhobie croissante

Double bataille

Le plus probable, à court terme, est bien sûr que les Européens se montreront unis face au forcing américain, surtout dans l’enceinte de l’Organisation mondiale du commerce. Mais les responsables communautaires savent que les procédures de l’OMC exigent de la patience et que Donald Trump continuera à ouvrir d’autres fronts, en particulier sur l’Iran et les sanctions extraterritoriales. Ils savent aussi que la proximité des élections européennes de 2019 promet de renforcer la rhétorique protectionniste. D’autant que les gouvernements les plus pro-Trump au sein de l’UE, comme ceux au pouvoir en Hongrie ou en Pologne, affichent de bons résultats économiques et n’ont pas – contrairement à l’Allemagne, à la France ou à l’Italie – d’industries métallurgiques exportatrices susceptibles de souffrir immédiatement des taxes imposées outre-Atlantique.

Une double bataille s’engage donc: commerciale et communautaire. Le nationalisme économique insufflé par Washington est, que Bruxelles l’admette ou non, un puissant poison.

(Richard Werly)