On savait Sylvie Goulard tenace. Comme eurodéputée durant huit ans (2009-2017), la future commissaire au marché intérieur, à l’industrie, à la défense et au numérique, nommée par la France, maîtrisait à la perfection les joutes dans l’hémicycle de Strasbourg et les échanges en commission à Bruxelles. Bis repetita mercredi, lors de son audition par la Commission sur le marché intérieur et la protection des consommateurs du Parlement européen: la candidate d’Emmanuel Macron, chargée par le président français de défendre une politique industrielle communautaire renouvelée, s’est battu pied à pied. Avec à chaque fois le même argument: ni ses engagements ni ses fonctions antérieurs ne conduisent à un conflit d’intérêts problématique pour l’exercice de ses prochaines fonctions.

Le premier tir est venu de la droite française, en la personne de l’ex-tête de liste des «Républicains» François Xavier Bellamy, qui l’a interrogée d’emblée sur sa démission, le 25 juin 2017, à peine nommée ministre de la Défense, en raison des soupçons d’emplois fictifs concernant son assistant au Parlement européen (PE), entre 2014 et 2017. La commissaire nominée, blanchie par l’administration du PE à laquelle elle a remboursé les sommes contestées, a nié avoir employé son collaborateur à d’autres fonctions, rappelé qu’elle n’a jamais été mise en examen, invoqué la présomption d’innocence et redit que son départ du gouvernement après quelques jours «lui paraissait indispensable» pour éviter toute interférence avec sa fonction de responsable des armées, alors que l’Etat d’urgence demeurait en vigueur en France.

Echange moins rude qu’attendu

Même réponse vigoureuse, deux heures plus tard, lorsque a été évoquée l’enquête menée par l’Office communautaire anti-fraude (OLAF) sur ses émoluments reçus de l’institut Berggruen, un think tank basé aux Etats-Unis, entre 2013 et 2015, alors qu’elle siégeait au Parlement européen: «Il arrive que des «think tanks» américains aient aussi à cœur de défendre des valeurs compatibles avec le projet communautaire. C’est le cas de cet institut», s’est-elle justifiée, rappelant l’engagement pro-européen de son fondateur, le milliardaire Nicolas Berggruen, binational allemand-américain et éduqué en partie en Suisse durant son adolescence, à Rolle, à l’institut Le Rosey.

L’échange, que l’on attendait rude, ne l’aura finalement pas été. La passe d’armes initiale engagée par le Parlement européen, dont la Commission des affaires juridiques a lundi 30 septembre voté le rejet des candidatures des commissaires désignés par la Roumanie (Rovana Plumb) et la Hongrie (Laszlo Trocsanyi), estimant qu’ils ne sont pas «en mesure d’exercer leurs fonctions conformément aux Traités et au Code de conduite», est passée par là.

Le dossier de Sylvie Goulard, 54 ans, était, il est vrai, loin de présenter les mêmes failles. «Je m’en tiendrai aux traités, strictement aux traités», a d’ailleurs plusieurs fois répété l’intéressée, qui a notamment nié toute intention d’avantager les groupes industriels français du secteur de l’armement, dans la gestion du Fonds européen de défense, dont elle aura la charge. 

Pour un salaire minimum européen

Restait donc ses ambitions, en particulier sur le plan de la politique industrielle. Trois axes sont ressortis de son audition. Le premier concerne le secteur numérique avec trois annonces: la préparation d’une nouvelle législation communautaire sur les services, la volonté de préserver la neutralité de l’internet et la promesse de propositions sur l’intelligence artificielle dans les cent jours après son entrée en fonction. Deuxième axe: La concurrence «déloyale» au sein du marché intérieur, via les inégalités fiscales et salariales, face à laquelle Sylvie Goulard a redit l’objectif d’un salaire minimum commun aux 27 Etats membres. Troisième axe: la volonté d’identifier les secteurs clés, en particulier dans les «infrastructures stratégiques» où des géants européens doivent «impérativement» émerger.

Sauf surprise, Sylvie Goulard devrait donc passer l’examen de «l’évaluation» de sa performance, que les groupes parlementaires rendront publique d’ici à vendredi.Il faudra toutefois attendre le 17 octobre pour savoir si la procédure d’audition la concernant est close, et si son nom figurera dans le collège que les eurodéputés investiront, ou non, lors d’un vote, le 23 octobre. Dans la soirée de mercredi, les élus du groupe socialiste ont publié un communique exigeant «des clarifications supplémentaires».