Même invisible, c’est un maillon essentiel dans les rouages du système financier international. Agissant en intermédiaires, les contreparties centrales – aussi connues comme les chambres de compensation – garantissent le paiement des transactions dans de multiples domaines: obligations, actions, produits dérivés et matières premières comme les produits agricoles, le pétrole et le gaz. Ces établissements sont essentiels dans la maîtrise et la réduction des risques et servent d’interconnexions au sein du système financier global. Entreprises privées, elles veillent à ce que les transactions soient bien menées jusqu’au bout même si l’une des parties fait défaut. La semaine passée, l’Union européenne (UE) a présenté son projet de revoir leur fonctionnement afin qu’elles soient davantage équipées pour faire face à toute éventualité de défaillance. Car sans cette infrastructure, c’est tout le système financier qui s’écroule.

Haut lieu des risques

Les 28 pays de l’UE comptent 17 contreparties centrales qui, en 2015, ont assuré la compensation de plus de 50% des transactions mondiales pour une valeur de 500 000 milliards de dollars. Année après année, elles gagnent en importance; en 2009, elles n’avaient brassé que la moitié. Haut-Lieu de risques systémiques, les centrales sont certes soumises à des normes réglementaires strictes, mais il n’y a pas, au niveau européen, de règles en cas de graves difficultés ou de défaillance. Dès lors, les réformes voulues par le G20 en 2009 dans le contexte de crise financière, vise à encadrer une procédure de redressement ou de résolution. En Europe, la plus grande chambre de compensation est le LHC de Londres, première plateforme d’échanges de produits dérivés et filiale de la London Stock Exchange. Il est suivi de l’Eurex Clearing, une filiale du groupe Deutsche qui a de nombreuses filiales dans le monde, y compris l’Eurex Zürich AG.

Lire aussi: La bourse d’Atlanta s’installe à Genève

Etablir une confiance totale dans le système financier international

«Notre proposition renforcera le système financier européen et protégera les contribuables en nous permettant de gérer toute situation de crise de façon ordonnée, explique Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne et chargé de la Stabilité financière, des Services financiers et de l’Union des marchés des capitaux. Elle est d’autant plus importante que les contreparties centrales sont une composante indispensable de notre système financier.»

Le commissaire Jyrki Katainen en charge de l’Emploi, de la Croissance et de l’Investissement, abonde dans le même sens. «Les risques de défaillance d’une chambre de compensation sont minimes, dit-il. Nous devons néanmoins être dotés non seulement d’un système de redressement, mais aussi de prévention.» Il rappelle qu’en 2007-2008, la faillite d’un seul grand établissement, Lehman Brothers en occurrence, avait suffi pour faire plonger l’ensemble du système financier dans une grave crise. «Il est important que les autorités en Europe disposent des pouvoirs nécessaires pour intervenir en cas de défaillance et pour la gérer de façon ordonnée», ajoute-t-il. Pour Jyrki Katainen, l’objectif est aussi d’établir une confiance totale dans le système financier international.

Mécanisme d’intervention précoce

Les propositions de la Commission sont comparables aux dispositions qui s’appliquent aux banques en difficulté, nommément le Mécanisme unique de résolution qui est l’un des piliers de l’Union bancaire. Plus concrètement, il appartient aux contreparties centrales d’élaborer elles-mêmes des plans de redressement selon plusieurs scénarios qui prendraient en compte les risques liés par exemple à des fraudes ou à des cyberattaques. Les plans seront alors examinés par l’autorité nationale de surveillance. Dans le cas des banques, l’Autorité bancaire européenne joue le rôle de superviseur pour 130 des plus grandes banques européennes. La Commission propose aussi un mécanisme d’intervention précoce qui permettra de prévoir les difficultés en amont.

Une contrepartie centrale, si elle est en situation de défaillance avérée ou prévisible et si son propre plan de redressement s’avère insuffisant, sera placée sous procédure de résolution. Elle pourrait aussi l’être si aux yeux de l’autorité de surveillance, nationale ou européenne, elle représente une menace systémique pour la stabilité financière dans son ensemble.

Accentuer la coopération

La Commission veut également renforcer la coopération entre les contreparties centrales qui par nature sont des établissements transfrontaliers. Dès lors, elle préconise la création d’un collège d’autorité de résolution qui comprendra l’Autorité européenne des marchés financiers ainsi que l’Autorité bancaire européenne.

Prochaine étape: la Commission qui a déjà mené une longue consultation avec les divers acteurs de l’industrie financière, va maintenant solliciter l’approbation du Conseil et du Parlement européens.


«Une réglementation suisse serait impossible»

Christian Bovet, professeur ordinaire à la Faculté de droit à l’université de Genève et éditeur d’un ouvrage collectif «Surveillance des marchés financiers*» qui vient de sortir de presse, fait le point sur les contreparties centrales en Suisse et souligne que celles-ci travaillent en étroite collaboration avec les autres établissements en Europe et dans le monde.

Le Temps:  Quel est l’état des lieux des contreparties centrales en Suisse?

Christian Bovet: Le législateur et le régulateur suisses s’inspirent en grande partie de ce qui se passe en Europe et reprennent souvent les normes préparées à Bruxelles ou aux Etats-Unis. Une réglementation helvético-suisse serait impossible en raison de marchés largement mondialisés.

– Qu’en est-il de l’interopérabilité?

– Le fait que les contreparties centrales «suisses» opèrent dans un marché ouvert et global justifie l’obligation légale qui leur est faite de signer des accords d’interopérabilité avec les autres. Ces accords sont soumis à l’approbation à la Finma qui se retrouve en quelque sorte dans la position d’une autorité de la concurrence.

– Les propositions de réformes mises en avant par la Commission vont-elles dans la bonne direction?

– D’abord, il n’y a pas de doute sur l’utilité de réglementer de façon importante leur fonctionnement. Et cela concerne autant l’UE que la Suisse dans la mesure où les transactions sont effectivement soumises à de grands risques. Les réformes sont donc nécessaires et essentielles pour assurer la sécurité juridique. L’adoption et la mise en œuvre des règles devraient parfois être plus rapides pour ne pas freiner le développement du marché.


 * «Surveillance des marchés financiers», Edition Schulthess, 2016. 1063 pages.