Oui, le monde des affaires et les Droits de l’Homme peuvent faire bon ménage. Jeudi, une soixantaine d’avocats, de juristes et de représentants d’entreprises se sont réunis à l’Université de Genève pour en débattre dans le cadre d’un séminaire organisé par l’Ordre des avocats. Une conférence qui aurait été inimaginable il y a quelques années, de l’aveu des organisateurs. «Il y a 20 ans je considérais moi-même que les contrats et les droits de l’homme n’avaient rien à faire ensemble, a souligné la doyenne de la faculté de droit Christine Chappuis. Mais les choses changent.»

Ce changement, l’avocat Stéphane Brabant l’a vécu il y a dix ans, lors d’un voyage en République Démocratique Du Congo pour le compte d’un client (une entreprise active dans l’extraction minière). «J’ai vu un gamin au fond d’un trou gratter avec ses ongles pour récupérer du cuivre, a-t-il expliqué à l’auditoire. J’ai alors réalisé que si nos clients avaient le droit de faire de l’argent, il devait néanmoins y avoir certaines limites, qui correspondent au respect des droits de l’Homme.»

Pour Stéphane Brabant, les entreprises ne peuvent plus dire aujourd’hui qu’elles ne savaient pas. «D’autant qu’elles s’exposent aux nouveaux juges que sont les ONG, les bourses et les médias, a-t-il poursuivi. Et que la première sanction en cas contraire sera de se retrouver dans les journaux.»

«Un tremblement de terre depuis 2011»

Après la session plénière, les avocats ont été invités à participer à différents ateliers, dont l’un était consacré au rôle des banques. Non seulement elles peuvent avoir des clients qui ne respectent pas les droits de l’Homme, mais elles peuvent surtout être amenées à financer des opérations, des rachats, des entrées en bourse pour le compte d’entreprises qui les bafouent.

Organisateur du séminaire, l’avocat Sylvain Savolainen en a profité pour souligner les avancées de ces dernières années: adoption par les Nations unies de principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, reprises de ces derniers par l’OCDE et l’Union européenne et, finalement, élaboration d’un projet d’instrument international qui serait juridiquement contraignant pour les entreprises. «Nous vivons depuis 2011 un véritable tremblement de terre», s’est-il félicité.

Assis à ses côtés, un représentant d’UBS n’a pas caché son désaccord. Christian Leitz a, par exemple, assuré que les banques n’avaient pas attendu les droits de l’Homme pour s’assurer que l’argent de leurs clients n’était pas issu de la corruption ou ne servait pas à financer le terrorisme. «Ce travail nous le faisons tout le temps, que ce soit au niveau de la compliance et de la gestion des risques», a-t-il expliqué.

Vote en 2018?

Christian Leitz a surtout plaidé pour que les principes directeurs de Nations unies ne deviennent pas juridiquement contraignants. «Ce n’est pas leur vocation», a-t-il affirmé.

Reste que les Suisses en décideront peut-être autrement quand ils devront s’exprimer, probablement en 2018, sur l’initiative pour des multinationales responsables qui a été déposée au début du mois. Pour le bâtonnier genevois Grégoire Mangeat, présent au séminaire, cela pourrait conduire à de profondes modifications du droit suisse.

«Jusque dans les années 1980, Genève accueillait volontiers l’argent des pires dictatures. Depuis, une évolution majeure s’est faite sentir: Genève bloque l’argent après que Berne eut décidé qu’il s’agissait en réalité d’un dictateur. Peut-être qu’enfin viendra ce jour, en Suisse, où l’on considérera qu’un dictateur est un dictateur, et qu’on ne devient pas dictateur a posteriori, au motif que le peuple et l’Histoire vous ont renversé», a-t-il conclu.