«Les deux principaux perdants du scrutin sont le premier ministre Hun Sen et les spéculateurs immobiliers avides. Mais ceux-là sont protégés…» Une semaine après les législatives du 28 juillet au Cambodge, les leçons du très bon score obtenu par l’opposition – 55 sièges contre 68 remportés officiellement par le parti au pouvoir, sur fond de fraudes massives – sont tirées sous le couvert de l’anonymat.
Le professeur d’université qui accuse ainsi l’inamovible chef du gouvernement ne veut pas dire son nom. Il sourit à l’évocation de la Commission d’enquête électorale à laquelle le Parti du peuple Cambodgien (PPC, ex-parti communiste pro-vietnamien) et son adversaire, le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC, qui revendique la victoire avec 63 sièges au lieu de 55), ont accepté de participer. Pour lui, la principale cause du mécontentement politique au Cambodge est aujourd’hui économique: «Hun Sen jouissait auparavant d’une réputation de «protecteur» des Cambodgiens. Il est maintenant perçu comme un parrain mafieux qui couvre les expropriations illégales, et protège les investisseurs étrangers, notamment chinois, contre son propre peuple.»
Le développement économique du Cambodge, à commencer par le boom immobilier sauvage à Phnom Penh, la capitale, mais aussi à Siem Reap (où se trouvent les temples d’Angkor) et dans la ville côtière de Sihanoukville, était, de fait, l’un des enjeux du scrutin. L’ampleur de la contestation pourrait, dès lors, entraîner des corrections. L’un des sujets clefs est l’accaparement des terres par les promoteurs dans les villes, ou par les grandes compagnies d’exploitation du bois, ou de plantations de caoutchouc et de canne à sucre dans les campagnes.
Début juillet, des manifestations de paysans ont encore eu lieu à Koh Kong, au sud-ouest du pays. A Phnom Penh, l’assèchement du lac Boeng Kak, qui irriguait la ville, par le consortium sino-khmer Shukaku Inc. dirigé… par le sénateur et magnat Lao Meng Khin nourrit la colère urbaine après avoir conduit à l’expulsion de plus de 3500 familles et à l’arrestation arbitraire de 13 activistes, relâchés en juin. «Le gouvernement nous tue à petit feu. Il nous étrangle», avait prévenu avant le scrutin Tep Vanny, une meneuse des protestations, récompensée le 31 mars aux Etats-Unis.
Une corruption «endémique»
L’ampleur de cet accaparement des terres s’est avérée un bon argument pour l’opposition emmenée par l’ex-politicien en exil Sam Rainsy et le président du PSNC Kem Sokha. Dans un pays où 36% de la population vit dans l’extrême pauvreté, avec moins de 50 centimes par jour, les deux hommes ont martelé le fait que 80 000 hectares sont sur le point d’être attribués à des fins «économiques», dans le cadre de douze concessions, dénoncées par les organisations de la société civile. Celles-ci affirment que plus de 2 millions d’hectares sont passés depuis cinq ans aux mains de conglomérats, malgré un moratoire officiel. Preuve de la tension: l’un des combattants anti-expropriation, Chut Wutty, a été assassiné en avril 2012.
Le premier ministre Hun Sen, habitué aux volte-face pour conserver le pouvoir, montre depuis une semaine un ton conciliant et se dit prêt à travailler avec l’opposition. Va-t-il, pour autant, s’en prendre aux «tycoons» cambodgiens, ces multimilliardaires qui financent sa famille et son régime… en échange de concessions exploitées avec des firmes étrangères? «L’impunité dont ils bénéficient ne cesse de se renforcer et rend nul tout effort de lutte contre la corruption endémique», accusaient, en 2011, les câbles diplomatiques américains révélés par WikiLeaks.