Après la crise sanitaire, un second souffle pour le coworking?
Travail
Nombre d’espaces de cotravail en Suisse ont fermé leurs portes ou sont dépeuplés à cause du Covid-19. Si la crise menace dans un premier temps leur survie, ces locaux pourraient à long terme séduire davantage de travailleurs

Pour les coworkings, le constat est amer. En Suisse, le modèle était en pleine croissance: de 10 espaces et 500 membres en 2013, ils sont passés à environ 200 espaces et 15 000 membres en 2019. On peut notamment citer Gotham, présent dans toute la Suisse et qui a entre autres une enseigne près de la gare de Lausanne, ou Voisins, qui a quatre espaces à Genève.
Dans le reste du monde, si certains coworkings connaissent des difficultés financières, à l’image de l’entreprise américaine WeWork, ces espaces se multiplient aussi face à des loyers toujours plus coûteux et une demande croissante de lieux de travail flexibles.
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Mais le coronavirus est venu fragiliser un modèle économique qui n’avait pas encore trouvé «son rythme de croisière avant la crise», estime Mélanie Burnier, coprésidente de l’association Coworking Switzerland. Et le constat est rude pour les espaces qui ont fermé ou sont à moitié vides pour respecter les distances de sécurité ou parce que les travailleurs préfèrent rester chez eux.
«Un trou de plusieurs milliers de francs»
Chez Hub Neuchâtel, si le café a fermé, ce n’est pas le cas de l’espace de travail, où les coworkers peuvent toujours se rendre, en respectant les nouvelles normes. «Deux ou trois personnes seulement viennent chaque jour, observe Morli Mathys, cofondatrice. Le plus difficile est l’annulation de toutes les réservations de nos salles de conférences, ce qui a créé un trou de plusieurs milliers de francs. Nous essayons de réduire les coûts, d’abord sur notre rémunération, qui était déjà symbolique, mais aussi en négociant notre loyer et avec des demandes de chômage partiel. Mais tout reste très fragile.»
Même constat chez Voisins, avec ses quatre espaces de coworking à Genève: «Nous avons perdu tout notre chiffre d’affaires lié à notre café et à nos locations de salles», déplore Kaspar Danzeisen, directeur. Nombre d’abonnements ont été résiliés ou suspendus: «Certains de nos membres perdent leur activité professionnelle et essaient donc de réduire leurs coûts.» Le chômage technique pour la partie café, un crédit de la Confédération et des négociations sur les loyers devraient permettre à Voisins de tenir quelques mois.
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La survie des lieux dépendra des revenus de chaque coworking, entre abonnements des membres et éventuels cafés ou service de location de salles, analyse Mélanie Burnier. Coworking Switzerland a interrogé une quarantaine d’espaces suisses sur leur vécu: «Parmi eux, 36% disent que le coronavirus a un fort impact sur leur modèle et beaucoup estiment qu’ils ne pourront pas survivre plus que trois à six mois dans la situation actuelle.»
Le risque est aussi de voir les gens fuir ces lieux collectifs, peu adaptés aux mesures de distanciation sociale qui vont progressivement devenir la norme. Le réseau de coworking Gotham, présent à travers toute la Suisse, a mis en place un collaborateur à l’entrée de ses espaces afin de s’assurer que les quelques personnes présentes respectent les règles: distance, port du masque, pas d’attroupements, «en plus des nettoyages désinfectants au moins trois fois par jour et de la mise à disposition de gel hydroalcoolique à l’entrée, précise le directeur, Guilhem Sirven. Nous pensons qu’effectivement certains auront des craintes de revenir dans un open space, malgré les nouvelles normes, mais l’avantage, à Gotham, c’est que nous avons également des bureaux fermés.»
Une opportunité, aussi
Si à court terme ces espaces semblent menacés par ces pertes financières et peut-être, aussi, par l’agencement des locaux, ce mode de travail pourrait susciter davantage d’intérêt dans un futur plus lointain. «L’expérience que nous vivons est tellement forte que beaucoup d’employés qui font de longs trajets ne voudront plus les faire tous les jours. Mais ils auront aussi vu les limites du travail à la maison, quand on est isolé, avec une chaise qui fait mal au dos ou un frigo qui fait de l’œil, détaille Mélanie Burnier. Le coworking permet de travailler dans un espace professionnel, ce qui est susceptible de plaire aux employeurs, mais proche de chez soi. C’est une alternative au travail à la maison encore trop peu connue, qu’on imagine réservée aux indépendants, aux start-up ou aux geeks, mais pas forcément pour les employés.»
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Les espaces Voisins misaient déjà sur les salariés, ils le feront encore davantage, assure Kaspar Danzeisen. «Cette clientèle est déjà bien développée chez nous, et nous avons un peu plus de vingt bureaux fermés sur nos quatre espaces. De moins en moins de coworkings ne s’adressent qu’aux personnes indépendantes, ils sont aussi ouverts aux équipes. Après cette période, j’espère que nous aurons une audience plus intéressée par ce mode de travail. Mais ce ne sera pas pour tout de suite.»
La nouvelle norme?
Le coworking, l’avenir, donc? Guilhem Sirven de Gotham en est certain. «Les êtres humains ont plus que jamais besoin de relations sociales et solidaires. Les espaces de coworking ont été créés pour cela. Nous en sommes convaincus: ils vont devenir la nouvelle norme.»
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Le sociologue Marc Perrenoud, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, se montre plus dubitatif: «Ce sont essentiellement des jeunes, diplômés, dont l’activité peut être nomade et qui sont dans un rapport de grande autonomie à leur travail, pour le meilleur et pour le pire, rappelle-t-il. Mais cela ne concerne qu’une petite fraction, plutôt favorisée, de la population active, qui peut adhérer avec enthousiasme à ce modèle. Et cela ne dure qu’un temps; en général, le coworking n’est finalement vécu que comme une phase de transition.»
Pour les coworkings suisses, il faudra dans tous les cas réussir à se maintenir à flot avant de pouvoir, peut-être, bénéficier des bouleversements que connaît le monde du travail. Morli Mathys de Hub Neuchâtel espère que cette période sera un tournant, mais elle en doute: «La pression des entreprises, le problème des trajets et du réchauffement climatique existent depuis un moment déjà, tout comme le coworking, et ce n’est pas pour autant que les gens se tournaient vers cette pratique. Il faut un changement de culture du travail.»