Les aspirations très conformistes des jeunes travailleurs
Emploi
AbonnéUn baromètre de l’emploi paru en France jeudi montre que les jeunes sont plus attachés au bureau que leurs aînés. En Suisse romande, une étude parue mi-octobre casse aussi les clichés: le salaire est un critère important pour les jeunes, la possibilité de télétravailler ou l’éthique de l’entreprise le sont moins

Les jeunes salariés de l’Ile-de-France (Paris et sa banlieue) sont beaucoup plus attachés au bureau qu’ils ne l’étaient avant la crise et sont moins demandeurs de télétravail que leurs aînés. C’est ce qu’a révélé le baromètre annuel Paris Workplace publié jeudi. Le précédent, paru en février 2020, montrait que 38% des moins de 35 ans considéraient le bureau comme un lieu où ils aimaient passer du temps. Mais «post-covid», ce taux est passé à 64%. Et il est de 42% seulement chez les 35-50 ans. Une récente étude de la société de conseil Accenture, réalisée au niveau mondial, montre aussi une génération Z souhaitant plus que les autres avoir davantage d’occasions de travailler en présence de collègues. Des résultats loin de la réalité suisse? Il se trouve que non.
Une autre étude, romande cette fois-ci, tord le cou à bien des idées reçues sur les jeunes et le travail: le Young Professional Attraction Index (YPAI), publié mi-octobre chaque année depuis 2018 sur mandat d’Academic Work, spécialiste du recrutement et placement de juniors et d’étudiants basé à Genève et à Lausanne. L’étude dévoile notamment les critères qui priment pour les jeunes au moment de choisir un employeur.
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Pas plus de cinq ans d’expérience
Deux mille cent réponses ont été analysées cette année, de jeunes en poste (près de 50%), en étude ou en recherche d’emploi. Tous ont en commun d’avoir entre 18 et 30 ans et pas plus de cinq ans d’expérience professionnelle. Sont-ils représentatifs des jeunes Romands? Oui, répond Academic Work, s’étant aidé des services de Kantar, institut d’études qui a retraité les données pour s’en assurer. L’enquête a été menée en deux temps: une pré-étude avec des questions ouvertes a d’abord permis aux jeunes de donner librement leurs critères. Puis un autre questionnaire à choix multiples, confectionné sur la base du premier sondage, leur a été soumis.
Tendances conjoncturelles ou plus durables, les résultats de cette édition 2021 ont en tout cas de quoi surprendre. Tour d’horizon.
■ Le salaire et la stabilité sont essentiels
Les jeunes, au vu de cette étude, ne sont ni désintéressés ni volatils, contrairement aux idées reçues. «Le salaire et les avantages» est le troisième critère jugé le plus important par les jeunes lors du choix d’un employeur (derrière «la nature des missions et des tâches» et «un environnement de travail agréable et des collègues sympathiques») mais il est surtout le critère le plus cité (par 62% d’entre eux) quand on leur demande de donner au minimum trois critères qui comptent, sur dix. Une place prépondérante qui n’étonne pas tant Florence Thellier, directrice des ressources humaines pour Academic Work suisse. «Le salaire a toujours eu une place importante dans ce classement. Les jeunes ont les pieds sur terre», note-t-elle.
Mais par rapport à l’étude de l’an dernier, où le salaire n’était que le quatrième critère le plus cité, il gagne en importance en raison de la crise, analyse Florence Thellier: «Beaucoup de jeunes se sont retrouvés sans salaire, et c’est lorsqu’on perd quelque chose qu’on prend conscience de son importance.» Dans la même logique, un nouveau critère a fait son entrée en 2021 dans l’étude d’Academic Work: «la sécurité de l’emploi et la stabilité de l’entreprise», cité par 43% des jeunes, ce qui en fait le cinquième critère le plus sélectionné. «L’état d’esprit «tout est possible» a diminué pour les jeunes. Cette période a amené à se recentrer sur des fondamentaux un peu oubliés comme le salaire et la sécurité de l’emploi, commente Florence Thellier. Mais nous pensons qu’il s’agit plutôt d’une parenthèse conjoncturelle. Les tendances de fond de ces dernières années vont rester: les jeunes professionnels sont avant tout à la recherche d’un emploi qui a du sens pour eux.»
■ La réputation et les actions «éthiques» de l’entreprise encore en second plan
Certes, l’entrée «la nature et la mission des tâches» occupe une place importante dans le classement, confirmant le besoin de sens au travail pour les répondants. Et le critère «les actions de l’entreprise pour la protection de l’environnement, la diversité et l’égalité des chances» existe dans le classement depuis 2019. «Le simple fait qu’il soit présent montre qu’il a son importance, puisque ce sont les jeunes professionnels qui définissent les critères lors de la pré-étude», estime Florence Thellier. Reste cependant que ce critère stagne en 2021 tout en bas de la liste, cité par 22% des jeunes seulement. La réputation de l’entreprise se classe juste avant, demeurant donc très secondaire.
«Il est vrai que ces résultats dénotent de préoccupations individuelles plutôt que de préoccupations collectives et sociales», réagit Nicky Le Feuvre, professeure de sociologie du travail à l’Université de Lausanne. La spécialiste nuance cependant la portée de l’étude, notamment parce que les pourcentages, souvent proches, «ne permettent pas de tirer des conclusions trop générales». Elle poursuit: «Ce qui me paraît intéressant, au-delà du classement, c’est l’ensemble de ces dix critères choisis par les jeunes: ils illustrent la pluridimensionnalité de l’expérience du travail aujourd’hui, qui implique aussi bien de gagner de sa vie que de développer sa carrière ou de s’épanouir dans un certain environnement.»
■ Les collègues et l’environnement sont importants… le télétravail moins
Comme en région parisienne, mais de façon un peu moins marquée, un autre résultat vient bousculer les clichés: la possibilité de télétravailler ne semble pas essentielle pour tous les jeunes professionnels. Plus de 40% d’entre eux citent la flexibilité des horaires et du lieu de travail comme important, mais en même temps, le critère «un environnement de travail agréable et des collègues sympathiques» est à la fois le deuxième le plus important pour les jeunes et le deuxième le plus cité (59%). «Un jeune professionnel a besoin d’être formé et a donc envie de travailler aussi au bureau. C’est un message fort pour les entreprises: elles doivent créer un environnement de travail stimulant, ne pas abandonner cette dimension», croit Florence Thellier.
A noter que les résultats de l’étude d’Academic Work s’avèrent similaires à ceux de la dernière étude de Manpower sur la génération Y, bien avant la crise, en 2016: la volonté de travailler avec des gens sensationnels prime (33%), suivie par le souhait d’apporter une contribution positive à travers leur travail (20%), talonné de près par l’envie de gagner beaucoup d’argent (17%).
Toutes ces études montrent en tout cas qu’on ne peut pas parler de changement radical, avec des aspirations très spécifiques à une génération. «Les sociologues répètent depuis de nombreuses années que les préoccupations des jeunes sont en fait souvent semblables à celles des générations précédentes», conclut Nicky Le Feuvre.
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