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L’objectif: trouver le «bonheur» au travail, autour de cinq «clés», l’autonomie, le sens, le progrès, la reconnaissance et la connexion humaine. Mais l’idée, abordée lors d’une précédente session, est d’aller au-delà de ces concepts. Il s’agit ce matin «de passer de cette théorie à votre réalité», annonce Florian Amstutz.
Une attitude positive
Au programme: «commérage positif» adressé à ses collègues, listes élaborées par groupe de tout ce qui fonctionne chez Mifroma, et des idées pour améliorer le quotidien de l’entreprise, comme organiser un apéritif, organiser des sorties d’équipe ou écrire une charte avec les règles que l’on voudrait voir respectées.
La «positive attitude» de l’intervention a convaincu Kevin Bosson, 25 ans, opérateur sur machine. «Nous n’avons pas souvent l’opportunité de dire ce qui va. Nous avons tendance à oublier les choses positives.»
Si en France, la pénibilité au travail est définie par le Code du travail, en Suisse, il n’en est rien
Le quotidien de Kevin Bosson, c’est beaucoup de collaboration avec ses collèges, «d’où l’ importance de rester positif», et des tâches physiques: «Je porte environ 10 à 15 kilos de fromage plusieurs centaines de fois par jour.» Mais pour le jeune homme, son métier ne nécessite pas une attention particulière: «Dans un bureau, le problème sera plutôt de devoir rester assis et de ne pas pouvoir bouger. C’est une question d’état d’esprit, j’essaie de prendre ces difficultés comme un défi.»
L’atelier aborde aussi la question du sens donné au travail: Simon Delachaux souligne l’importance, pour les collaborateurs, de pouvoir voir les produits finis, les fromages, en magasin. Mais les formateurs insistent surtout sur l’importance du relationnel: «L’entraide qui peut exister entre vous, c’est une donnée qui vient de l’équipe, pas de la direction, détaille Florian Amstutz. Vous créez l’ambiance.» Vincent Jaquier, 50 ans, qui travaille dans l’approvisionnement, réagit: «Pour moi, se serrer la main en arrivant tous les jours, c’est tellement important, même si ça n’a l’air de rien.»
Mais mettre en lumière le positif uniquement, n’est-ce pas occulter les vrais problèmes? «Evidemment qu’il faut, à la base, que l’entreprise respecte ses employés, sinon ça ne va pas fonctionner, répond Simon Delachaux. Mais on dit toujours ce qui ne va pas; ici, on montre l’autre extrême. Nous partons plutôt de ce qui fonctionne, pour changer la dynamique de journée.»
Et si les intervenants insistent tant sur le relationnel, c’est qu’il leur paraît primordial dans ces postes, argumente Florian Amstutz: «Les valeurs humaines, qui passent notamment par une poignée de main et une bonne entente, sont encore plus importantes qu’ailleurs.»
Comme chez Mifroma, nombre d’employés effectuent un travail éprouvant. Si en France, la pénibilité au travail est définie par le Code du travail, en Suisse, il n’en est rien. Le canton de Genève fait exception, des critères de «pénibilité» ayant été mis en place lors de la création de la caisse publique cantonale en 2013: la sollicitation physique, les influences environnementales (bruit, odeurs, variations de température) et les horaires irréguliers.
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Pour s’assurer du bien-être des employés, Alain Raymond, directeur du site Mifroma, dit faire aussi régulièrement appel à des ergonomes ou des psychologues du travail. «Chaque axe ne se suffit pas à lui seul, mais c’est un ensemble de mesures qui fera qu’un collaborateur est heureux sur sa place de travail.»
Avoir une utilité sociale
Mais ce n’est pas parce que le métier est rude qu’il est impossible d’être heureux au travail. On pourrait citer l’archive vidéo de la RTS qui a fait le tour des réseaux sociaux, dans laquelle Samy, jeune éboueur à Lausanne en 1989, parle avec passion de son métier. Céline Dubey Guillaume, directrice de l’entreprise suisse Stratergo, qui aide les entreprises à résoudre des problèmes liés au travail, mentionne aussi Michel Simonet, à la fois auteur et balayeur à Fribourg. «Ce qui est important, c’est de donner un sens à ce qu’on fait, assure l’ergonome, psychologue du travail et chargée de sécurité. Un employé chargé de contrôler des boîtes de médicaments peut voir l’utilité sociale de son travail, qu’il contribue à sauver des vies. A l’inverse, j’ai vu des ouvriers insérer des pièces dans une machine sans savoir à quoi elles allaient servir. C’est applicable à d’autres métiers: on peut travailler devant un écran, ce qui n’est pas physiquement difficile, mais ne pas voir le sens de sa mission.»
«Avoir de l’autonomie, quel que soit votre travail, est important!» lance Florian Amstutz aux participants. Céline Dubey Guillaume juge aussi cet aspect essentiel: «Prenons un peintre en bâtiment qui suit des consignes. Avoir une marge de manœuvre dans son organisation lui sera bénéfique: faire par exemple une partie du plafond, ce qui est très physique, puis un cadre de porte, puis revenir au plafond.»
Sur la question du bien-être, Céline Dubey Guillaume rappelle quelques principes: «Ce ne sont pas l’apéro ou le billard qui vont rendre les gens heureux au travail et performants, mais un environnement favorable au sens large, avec notamment de bonnes conditions, de la reconnaissance, du sens.» Elle image: «Le bonheur au travail ne peut pas être la cerise sur le gâteau… sans avoir le gâteau.»