La charge mentale au travail, ce nouveau continent
Chronique carrières
Avec l’évolution de la communication en entreprise et ses nouveaux moyens, la notion de charge mentale mériterait sans doute d’être revisitée

La notion de «charge mentale», qui revient en force en 2017 et qui représente les efforts de concentration, de compréhension et d’adaptation associés à la réalisation d’un travail, est depuis longtemps connue et abondamment documentée au niveau de la recherche scientifique. On sait depuis plusieurs décennies qu’une charge mentale excessive présente des risques pour la santé et a des effets réels et néfastes. On sait également que, si la notion de charge physique est assez aisée à objectiver et à mesurer, la notion de charge mentale constitue un poids invisible et difficile à cerner, tributaire d’influences mouvantes et multifactorielles.
La fin du siècle passé était déjà prolifique en mesures du stress au travail, avec le modèle développé par Karasek, en 1979. Depuis, en plus de la densification du travail et de l’intensification de la dimension concurrentielle de l’environnement, les évolutions du milieu professionnel connaissent une sorte d’hyperinflation insidieuse de la charge mentale, sur des aspects a priori insignifiants.
Avec l’évolution de la communication en entreprise et ses nouveaux moyens, aplatissant les hiérarchies, donnant une voix à ce qui aurait dû être tu, déroulant des boulevards rectilignes à des commentaires méritant sans doute quelques détours et ouvrant une porte aussi large aux réactions d’humeur les plus volatiles qu’aux analyses les plus fouillées, cette notion de charge mentale mériterait sans doute d’être revisitée. En effet, la masse des questions qui n’auraient jamais dû être posées (ni partagées avec des personnes qui n’auraient pas dû être mises en copie), et autres nuisances informationnelles, aurait tendance à devenir l’équivalent du continent de plastique qui erre sous forme de myriades de petits fragments entre les masses aquatiques au sein des océans.
Sollicitations inutiles
La nouvelle charge mentale est faite de ces millions de particules de sollicitations inutiles, quand elles ne sont pas agaçantes de maladresse, d’imprécision ou tout simplement malveillantes. Le simple fait qu’elles existent n’est pas anodin et constitue une pression permanente, cachée, mais néanmoins réelle. Au même titre que la pollution insidieuse étouffe notre environnement sous des montagnes de microparticules en elles-mêmes insignifiantes, la charge mentale générée par ces messages inutiles a probablement plus d’effets que ceux objectivement pris en compte. Sans compter les éventuels effets cocktails et autres interactions possibles avec le reste de l’environnement de travail.
Les modèles permettant de cerner la charge mentale tiennent compte dans une certaine mesure de la contrainte psychique liée à l’obligation de se rendre disponible ou attentif pour le traitement de ces demandes inutiles. Mais il est difficile de mettre en balance une charge légitime, liée par exemple à la complexité de conceptualisation d’une tâche, avec la densité de tourbillons d’informations futiles et de microdécisions en elles-mêmes insignifiantes. Comment faut-il tenir compte de ce fardeau invisible et mouvant? La réponse est simple: il ne faut pas. Au même titre que le meilleur déchet est celui qui n’est pas créé, la meilleure charge mentale est celle qui n’est pas polluée. Changer les modèles ne servirait à rien. C’est en cessant la production de ce genre de dégradation que l’on pourra le mieux en tenir compte. Comment? Il est nécessaire de passer par une certaine sensibilisation, une explicitation de ce qui est attendu comme communication légitime, une filtration de ce qui n’est pas souhaité, avec l’expression des conséquences sur les écosystèmes en cas de non-respect des règles de bon sens communément admises. Est-ce que cela ressemble à cette notion surannée et désuète qu’est l’éducation au respect de l’autre et de ses besoins?