Ces derniers mois, plusieurs dirigeants ont décidé de s’accorder un break en Suisse. Deux, trois, six mois, voire même une année pour faire le tour du monde, perfectionner ses connaissances ou simplement pour prendre du bon temps. Pour Françoise Piron, directrice de Pacte, une association de promotion de la mixité dans l’entreprise, «la vie professionnelle est semblable à un marathon. On demande aux employés de courir à fond les premiers kilomètres et après l’on s’étonne qu’ils essoufflent au milieu du parcours.»
Adepte de course à pied, le directeur général de Raiffeisen Pierin Vincenz a récemment annoncé qu’il allait s’absenter deux mois à partir de la fin septembre. Une période qu’il mettra à profit pour voyager en Asie et en Amérique du Sud. Depuis dix ans, Raiffeisen offre à ses cadres moyens et supérieurs la possibilité de prendre jusqu’à trois mois de congé au plus, après treize ou vingt-trois années de service. Au sein du groupe saint-gallois, prendre un congé est plus qu’une simple option. «On attend que les cadres utilisent cette période de congé. Cela est aussi valable pour les membres de la direction», précise Franz Würth, porte-parole chez Raiffeisen.
Durant leur congé, les cadres supérieurs ne sont pas tenus d’être joignables par la banque. Le remplaçant de Pierin Vincenz, en l’occurrence Patrik Gisel, chef du département Marché, prendra en charge tous les rendez-vous importants qui incombent au directeur durant cette période. «Une entreprise doit être organisée de manière à pouvoir fonctionner indépendamment des personnes», poursuit le porte-parole.
Cette mesure a-t-elle été aussi mise en place afin d’éviter les risques d’épuisement professionnel? Non, répond Franz Würth. L’offre de congé sabbatique vise à renforcer l’attractivité de Raiffeisen en tant qu’employeur. «Il ne s’agit en aucun cas d’un instrument de prévention des risques de burn-out. Si un cadre a un problème ou un conflit dans l’entreprise, il faut le régler immédiatement. On ne peut pas lui dire d’attendre sa 13e année de service pour se reposer», poursuit-il.
Pour Olivier Torrès, un congé sabbatique ne peut être que bénéfique dans la mesure où il est toujours choisi et non subi comme peut l’être une période de chômage. «Toutefois, souligne le professeur de l’Université de Montpellier et à l’EM de Lyon, certaines personnes hésiteront à demander un tel congé de peur de fragiliser leur entreprise durant leur absence et d’être considérées comme des traîtres. Un contrat de travail équivaut souvent à un contrat psychologique entre employé et employeur», rappelle-t-il.
Olivier Torrès, qui est également fondateur de l’Observatoire de la santé des dirigeants en France, insiste également sur la distinction qu’il convient de faire entre les patrons propriétaires et les cadres dans un grand groupe. «Un cadre qui prend un congé sabbatique ne met pas en danger l’organisation de sa société, explique-t-il. Il peut facilement être remplacé. A l’inverse, les patrons de PME ont tendance à ne pas prendre assez de vacances, surtout en période de crise, où la surcharge de travail augmente encore.»
A l’évidence, Johann Rupert ne craint pas d’être remplacé. Ni de prendre de longues vacances. Le président et principal actionnaire de Richemont va s’octroyer «douze mois sans portable» au lendemain de la prochaine assemblée des actionnaires prévue le 12 septembre. Après onze années passées à la tête du groupe de luxe genevois, le milliardaire sud-africain compte bien s’offrir du bon temps. Avant de reprendre son poste. «Il y a des choses que j’ai envie de voir et d’autres que j’ai envie de faire», expliquait-il aux journalistes au mois de mai.
Johann Rupert compte «voyager, jouer au golf et lire quelques livres». La perte de plusieurs amis décédés suite à une crise cardiaque a également pesé dans la balance, a-t-il précisé. Tout comme le fait de n’avoir pu se rendre à la Coupe du monde de rugby 2011, en Nouvelle-Zélande, «faute de temps». «C’est tout de même un comble pour quelqu’un qui travaille dans le monde horloger de ne pouvoir contrôler son temps», a-t-il indiqué.
Patrick Aebischer s’est lui aussi octroyé un congé sabbatique. Six mois «off» qui ont débuté en août. Le Fribourgeois, qui est à la tête de l’EPFL depuis treize ans, ne va pas chômer pour autant. Il souhaite se pencher sur la question de l’enseignement à distance, sa «nouvelle passion». «Je suis persuadé que l’enseignement est à la veille d’une révolution provoquée par les nouvelles technologies», expliquait-il au Temps en début d’année. Au programme: des voyages à Boston et à San Francisco, pour voir ce qui s’y fait dans ce domaine, ainsi qu’en Afrique afin d’y évaluer le potentiel de l’apprentissage en ligne.
Ancien responsable des activités suisses de BlackRock durant quatorze ans, Heinz Rothacher a lui aussi pris un congé à des fins pédagogiques. Un an, en 2011. Il est non seulement parti en voyage en Chine mais il a également profité de cette coupure pour suivre une formation à Harvard, aux Etats-Unis. Contrairement à Patrick Aebischer, Heinz Rothacher a démissionné pour s’offrir cette année sabbatique. Mais cela ne l’a pas empêché de retrouver du travail une fois de retour au pays. En novembre 2012, il a été nommé directeur de Complementa, un groupe qui fournit des conseils aux investisseurs privés et institutionnels.
La pression dans les entreprises ne va pas diminuer. A chacun de s’en protéger. Page 3
Durant leur congé, les cadres supérieurs de Raiffeisen ne sont pas tenus d’être joignables par la banque