Autrefois, apprendre à écrire signifiait apprendre à écrire le latin. L’acquisition d’un tel savoir-faire requérait du temps, des efforts et de l’argent (le prix de l’encre, des plumes et du parchemin était notamment élevé dans l’économie de subsistance du haut Moyen Age, société rurale à dominante orale où la demande d’écrit était réduite), si bien que seule une élite y parvenait.

De nos jours, le temps où seuls les clercs maniaient la plume est révolu et c’est désormais dans toutes les couches sociales que l’on noircit du papier. «S’intéresser à l’écriture en France, c’est se rendre compte que tout le monde écrit», résume la journaliste Cécile de Kervasdoué. Une étude conduite en 2015 par l’institut Odoxa révèle ainsi qu’un Français sur trois aurait déjà écrit un livre. La France abriterait par ailleurs un million et demi de manuscrits, dont seulement 60 000 sont publiés.

Une arme puissante

Pourquoi écrit-on autant? Ecrire est une façon de parler sans être interrompu, aurait répondu avec humour Jules Renard. Mais l’écriture est aussi et surtout une arme puissante. Dans Coulée d’or, Ernest Pépin explique que certains livres sont porteurs d’une telle charge émotionnelle qu’ils «devraient se manier comme des grenades explosives». Un livre peut en effet changer le cours de l’histoire. A titre d’exemple, Rousseau et ses lecteurs sont à placer au premier rang de toute enquête sur les origines de la nature même de la Révolution française.

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L’écriture peut enfin être une thérapie quotidienne, un exercice salvateur, indispensable à la métamorphose de soi. Au sujet de Rien de grave, un roman exutoire dans lequel Justine Lévy relate, sous des masques transparents, comment Raphaël Enthoven l’a quittée pour vivre avec Carla Bruni, le journaliste Patrick Besson a ainsi dit: «Jamais peut-être l’écriture n’aura autant sauvé quelqu’un.»

Comment mettre un livre en chantier?

«Reste la plume à soulever, l’action de régler son papier, de patiemment l’emplir», des gestes qui requièrent du courage, rappelle Jules Renard. Comment vaincre le vertige de la page blanche et libérer son écriture? Dans Comment écrire votre premier livre (Ed. Ambre), Bernard Baudouin propose quelques pistes. En premier lieu, il invite les écrivains en herbe à déterminer la forme qu’ils souhaitent donner à leurs écrits. «Qu’avez-vous envie d’écrire? Un roman? Un recueil de nouvelles? Un essai? Une suite dialoguée? De la pure fiction? Vos mémoires? Pour quel lectorat?»

Une préparation minutieuse et structurée

Une fois la forme fixée, certains paramètres devront être mécaniquement répertoriés, listés et organisés pour optimiser sa création et éviter d’errer au rythme incertain de son inspiration. «Avant de démarrer le travail d’écriture, vous devrez cerner les impératifs majeurs qui vont baliser votre travail, c’est-à-dire avoir une vision claire et précise de l’ensemble du projet: plan, découpage général, importance du livre en volume, etc. Plus la préparation est élaborée, minutieuse et structurée, plus le travail d’écriture s’en trouvera simplifié.»

Penser avant de se mettre à l’œuvre

Une erreur souvent commise consiste à se ruer sur la feuille blanche. «Pour se lancer dans l’écriture d’un livre, il faut d’abord savoir ne pas écrire, assure Bernard Baudouin. Vous devez attendre de sentir le sujet vibrer en vous.» Un livre a en effet besoin de temps pour trouver sa consistance, son épaisseur, sa dynamique, en premier lieu dans l’esprit de celui qui va l’écrire. Charles Baudelaire, par exemple, méditait longuement ses sujets avant de déposer ses pensées sur le papier. «Je ne suis pas partisan de la rature, disait-il. Elle trouble le miroir de la pensée. (Comment l’éviter? En ayant) beaucoup pensé.»

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L’auteur des Fleurs du Mal, mais aussi Balzac et Stendhal, pour ne citer qu’eux, comprenaient par ailleurs que l’écrit se nourrit d’éléments préexistants – un livre ne peut pas se développer sans un lien ténu avec plusieurs sources – raison pour laquelle ils observaient avec attention leur environnement et s’intéressaient de près à ce qui avait déjà été dit dans les domaines qu’ils souhaitaient aborder. «Tous les écrits de qualité fourmillent de détails, de précisions, de références multiples, qui proviennent d’une documentation très complète et soignée, poursuit Bernard Baudouin. Tel auteur ira visiter une ville où il compte situer son action, prenant des notes pour ensuite en restituer fidèlement l’atmosphère et l’ambiance. Tel autre puisera dans son entourage les détails de caractère ou les mimiques d’un futur personnage.» Tel autre encore se constituera une documentation à base d’archives de spécialistes et de documents glanés en bibliothèque ou sur Internet. Cette méthode de travail permet non seulement d’avoir une vision claire du champ d’investigation balayé par ses prédécesseurs mais aussi de situer plus précisément son propre cheminement rédactionnel.

Pas un jour sans une ligne

Une fois ce long travail préparatoire accompli vient le temps de passer (enfin!) à l’action. Sans surprise, une écriture de qualité va de pair avec une production régulière. Au fil des siècles, de nombreux écrivains ont adopté la devise du peintre grec Apelle, nulla dies sine linea (pas un jour sans une seule ligne). Emile Zola l’avait inscrite sur le linteau de la cheminée de son bureau et Jean-Paul Sartre la cite dans Les mots: «J’écris toujours. Que faire d’autre? Nulla dies sine linea. C’est mon habitude et puis c’est mon métier.»

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L’affinage constant de son style

Comment donner du style à ses écrits? «La première règle du style, qui se suffit presque à elle seule, c’est qu’on ait quelque chose à dire», annonce sans ambages Arthur Schopenhauer dans Ecrivains et style. Ce quelque chose doit en outre être exprimé d’une manière pure, claire, sûre et brève, «la simplicité (étant) l’attribut non seulement de la vérité, mais du génie même».

La simplicité est cependant complexe, raison pour laquelle tout auteur doit s’armer de patience. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter Brouillons d’écrivains, un ouvrage publié par la Bibliothèque nationale de France, dans lequel sont rassemblés des fac-similés de manuscrits originaux de quelques grands écrivains (Aragon, Apollinaire, Hugo, Racine, Balzac, etc.), tous plus raturés, biffés, surchargés de corrections les uns que les autres.

Dans une lettre adressée à Louise Colet, Gustave Flaubert confiait combien le processus d’amélioration d’un texte peut être long et complexe: «Quand mon roman sera fini, dans un an, je t’apporterai mon manuscrit complet, par curiosité. Tu verras par quelle mécanique compliquée j’arrive à faire une phrase.» Comment savoir lorsque l’on a atteint la perfection? «Il semble que la perfection soit atteinte non quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher», répond Saint-Exupéry.


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