Egalité: ils ont fait le pas du travail à temps partiel
Emploi
La part des hommes travaillant à temps partiel progresse lentement. Trop lentement, aux yeux de certains observateurs. Ceux qui l’expérimentent s’en félicitent pourtant

A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, Le Temps propose un cycle d’articles pendant trois jours.
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A en croire les chiffres, Thierry Melly fait partie des pionniers du temps partiel. Cet ingénieur a 30 ans quand il est engagé à 80% par une entreprise neuchâteloise. On est en 2000, il souhaite consacrer du temps à ses enfants encore petits. Son domaine d’expertise, recherché par son employeur, lui permet d’obtenir une journée de congé hebdomadaire. Un choix qu’il dit aujourd’hui ne regretter «pour rien au monde».
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A cette époque, un homme sur dix travaille à temps partiel. Un chiffre qui n’a pas décollé en près de vingt ans puisque, selon des données publiées cette semaine par l’Office fédéral de la statistique, le taux de temps partiel masculin s’est établi en 2019 à 17,7%. Il descend à 11% pour les emplois allant de 50 à 90%.
Un homme sur dix à temps partiel
«Malgré le mouvement d’émancipation des années 1960-1970, nous nous trouvons toujours dans une société patriarcale», analyse Gilles Crettenand, coordinateur romand de l’association MenCare. «On pense que cela a changé, mais c’est un leurre. Le monde professionnel, basé sur des rapports de domination, reste le pilier fondateur pour beaucoup d’hommes.»
Cette norme se retrouve toutefois toujours plus bousculée, observe celui qui dit recueillir, dans son cadre professionnel, des témoignages touchants. Son constat: toutes classes sociales et origines confondues, les pères ont envie d’investir leur parentalité. «Beaucoup ont souffert de ne pas avoir de relation privilégiée avec leur père. Ils ont vu les dégâts que le monde du travail pouvait faire car certains hommes se sont retrouvés détruits parce qu’ils avaient perdu leur emploi, fait un burn-out ou négligé leur famille.»
Une demande de travail à temps partiel, ça se prépare comme une demande d’augmentation salariale
Si les stéréotypes ont la vie dure, la résistance de l’employeur fait aussi partie des obstacles à une progression plus rapide du temps partiel chez les hommes. «Une demande de travail à temps partiel, ça se prépare comme une demande d’augmentation salariale», prévient Thierry Melly.
Celui qui travaille de nouveau à 100% pour l’entreprise Semtech se souvient avoir failli ne pas obtenir une promotion, il y a une quinzaine d’années, à cause de sa journée passée à s’occuper de ses enfants: «J’avais alors signalé à mon supérieur hiérarchique qu’il enseignait un jour par semaine et ne consacrait donc pas non plus cette période à son employeur. J’ai eu gain de cause.»
«Parmi les entreprises, il y a celles qui introduisent le temps partiel par pragmatisme, celles qui sont carrément progressistes et celles qui, nombreuses, le nez dans le guidon, entretiennent le mythe de l’homme à plein temps. Celles-ci souffrent sans comprendre tout ce que quelques changements pourraient leur apporter», résume Gilles Crettenand.
Gagner en efficacité
Car si les conclusions des études menées sur le sujet divergent, une meilleure productivité est souvent évoquée lorsque des personnes réduisent leur temps de travail. «Je soupçonne un gain en efficacité», lâche, par exemple, Eric Schnyder, patron de la PME Sylvac qui compte plusieurs ingénieurs à 80 ou 90%.
«On va plus vite à l’essentiel», confirme Nicolas Chanton, directeur administratif, financier et des ressources humaines de la société Pittet Associés, basée à Lausanne. C’est par un concours de circonstances qu’il a accepté un poste d’abord à 70%, puis à 80%. Cinq ans plus tard, il assure «ne pas regretter une seconde d’avoir opté pour cette configuration». Il passe le mercredi avec ses deux filles, âgées de 6 et 7 ans. Cadre supérieure dans un grand groupe genevois, son épouse travaille, elle, à 100% dont un jour par semaine depuis la maison.
S’il n’y a plus de stress de carrière, on résoudra une grande partie du problème
La société dans laquelle Nicolas Chanton travaille a rejoint l’été dernier le giron de Vaudoise Assurances. «J’ai craint un instant que mon organisation ne soit remise en question», confie-t-il. Il a été vite rassuré. «Depuis que je suis arrivée en 2015, je n’ai jamais refusé un temps partiel», affirme Jasmin Ohnmacht, cheffe de service des ressources humaines de l’assureur vaudois. Depuis 2018, la société a pris toute une série de mesures pour promouvoir l’égalité des chances professionnelles, en commençant par décrocher le label Equal-Salary.
Actuellement, 7,6% des hommes employés par Vaudoise Assurances travaillent à temps partiel. Un taux qui grimpe à 12% si on ne tient pas compte des forces de vente. «Il s’agit de contrats axés sur les objectifs qui sont de facto à 100%, ce qui biaise les résultats», relève Jasmin Ohnmacht, qui poursuit son travail de sensibilisation. Une semaine de la mixité devait avoir lieu dès le 9 mars. Reportée pour cause de coronavirus, l’initiative vise à susciter la réflexion chez les employés, mais aussi à montrer des exemples inspirants: «Femmes et hommes ont besoin de modèles pour voir qu’une autre organisation est possible.»
«J’insiste toujours sur le fait qu’on est coparent», renchérit Gilles Crettenand, pour qui toutes les mesures entreprises vont dans le bon sens, mais restent ancrées dans une vision pyramidale de l’entreprise.
Un autre mode d’organisation
Pour lui, l’avenir passe par des modes d’organisation proches de l’holacratie. Il s’agit d’un système de gouvernance horizontal, pratiqué par exemple par l’entreprise fribourgeoise Liip. «Les échelons hiérarchiques avaient peut-être du sens pour des entreprises industrielles, pratiquant par exemple le fordisme, qui souhaitaient avoir un fort contrôle sur leurs employés. Aujourd’hui, notamment dans les services, tous ces postes intermédiaires n’apportent plus une grande plus-value. S’il n’y a plus de stress de carrière, on résoudra une grande partie du problème.»