Entreprises: quelle résilience face au coronavirus?
Formation
Les entreprises doivent se montrer résilientes face au coronavirus, entend-on souvent. Mais cette crise particulière implique une certaine prudence. Une formation devrait ouvrir à Genève en septembre autour de cette notion

«Il faut être résilient face au coronavirus.» L’injonction a fleuri ces derniers temps sur la Toile, et le terme «résilience» a été utilisé à toutes les sauces. Il désignait à l’origine la résistance aux chocs d’un matériau. En psychologie, il a été repris pour signifier une aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques. Peut-il s’adapter aux entreprises, face au coronavirus en particulier?
Oui et non, estime Mathias Baitan. Il est le directeur académique d’un DAS – une formation continue – en Résilience et santé organisationnelle qui devrait ouvrir à la Haute Ecole de gestion de Genève en septembre. Opportunisme, en ces temps où le mot est en vogue? Non, la formation avait été prévue en amont. Les inscrits sont des cadres du domaine de la santé, du conseil et de la banque.
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Parmi les cours, «Philosophie, art et management», mais aussi «stratégie d’entreprise», ou encore un module sur la prise de décision dans un environnement incertain. «Un pompier interviendra pour montrer comment on peut prendre des décisions dans des situations difficiles, notamment en matière de préparation et de gestion d’équipe», détaille Mathias Baitan. Et le coronavirus sera un cas d’école étudié lors de la formation. «Les cadres vont apprendre à diriger dans l’incertitude et la complexité, ce qui est loin du style de gestion hérité du XXe siècle.»
«Pas de recette toute faite»
Mais Mathias Baitan insiste: «Il n’y a pas de solution clés en main. La résilience d’une entreprise n’est pas une capacité qu’elle posséderait ou ne posséderait pas, c’est un état temporaire qui n’est jamais garanti. Elle dépend pour beaucoup des ressources disponibles et de l’environnement dans lequel elle évolue.»
Alors, à l’heure où certains attendent des décisions fermes de la part des dirigeants en temps de crise, le directeur estime que se montrer résilient est avant tout faire preuve… d’humilité. «Le risque, quand on est un cadre expérimenté et qu’on fait face à de l’incertitude, c’est de se conforter dans ce qu’on pense savoir. On a vu avec le coronavirus qu’il fallait se montrer humble et admettre qu’on ne sait pas tout.»
D’autres Romands sont des spécialistes des questions de résilience. Il s’agit des deux universitaires vaudois Alexander Osterwalder et Yves Pigneur, bien connus du monde du management. Ils ont publié en avril The Invincible Company (Ed. Wiley), un ouvrage sur la façon de rendre son entreprise invincible, «ou résiliente», précise Alexander Osterwalder. Leur idée, en deux mots: exploiter ce qu’elle sait faire et explorer ce qu’elle ne connaît pas encore. Mais cette situation est particulière, admettent les universitaires: «On ne peut jamais se préparer pour des cas aussi extrêmes que celui-ci, mais il est certain que cette crise, parce qu’elle touche tout le monde, oblige à explorer l’incertitude», estime Alexander Osterwalder.
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S’il est encore trop tôt pour «distribuer les bons et les mauvais points», Yves Pigneur et Alexander Osterwalder citent des sociétés qui, menacées, se sont rapidement réinventées. Parmi elles, les taxis tunisiens qui, dans l’incapacité de transporter des personnes, se sont mis à livrer de la nourriture [ce qu’a aussi fait TaxiBike à Genève, ndlr]. Ou encore le spécialiste des meubles de bureau Sanwa, au Japon, qui a créé une «tente de bureau» pour qu’un télétravailleur puisse s’isoler.
Résilient à tout prix?
Mais face à une volonté de se montrer résilient à tout prix, Shékina Rochat, docteure en psychologie de l’Université de Lausanne, met en garde. Elle est responsable d’un module «Ressources et résilience» d’une formation continue en management et ressources humaines à l’Université de Genève.
«La résilience implique l’idée d’un retour à la normale. Faire preuve de résilience, ce n’est pas nécessairement se trouver qualitativement mieux qu’avant le choc, c’est s’adapter pour revenir à un fonctionnement similaire à celui d’avant, rappelle Shékina Rochat. Mais dans le contexte actuel, de plus en plus de voix s’élèvent pour inciter à ne pas revenir à la normale.»
La résilience semble être devenue un but en soi, relève Shékina Rochat. «Mais se montrer résilient n’est pas forcément positif étant donné qu’il s’agit de poursuivre comme avant. Dans le cas du coronavirus, on peut penser que la vision du monde doit véritablement être remise en question.» Plutôt que ce terme «fourre-tout», elle préfère celui de «croissance post-traumatique», «moins attrayant, mais qui indique qu’il y a bien eu un trauma».
Naviguer dans l’incertitude
Faut-il en effet, face à la gravité de cette crise, chercher davantage qu’une «résistance», et se réinventer complètement? «Oui, répond Yves Pigneur. Quand nous prônons le changement et l’adaptation, cela ne signifie pas retourner à l’état d’avant mais explorer des terrains où nous ne sommes pas déjà allés.» Interrogé sur la nécessité d’une approche plus écologique des affaires, il poursuit: «Certaines entreprises ont déjà montré la voie, en passant de l’exploitation des énergies fossiles à celle des énergies vertes.»
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La vision de Mathias Baitan est celle d’une résilience qui tienne véritablement compte des chocs passés et de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise. C’est donc ce qu’apprendront les étudiants de la formation, si elle ouvre comme prévu. Le programme, qui devait initialement avoir lieu en 2019, avait dû être reporté, faute d’inscrits. Aujourd’hui, la situation est différente. «Le Covid-19 a mis en lumière l’importance pour les entreprises de savoir naviguer dans l’incertitude. Mais il a aussi ralenti leur budget formation», mesure Mathias Baitan. Avant d’ajouter: «Mais s’il le faut, le programme tentera lui-même de faire preuve de résilience.»