Management
Souvent repoussés, voire annulés, en raison du coronavirus, ces points de situation méritent pourtant de continuer à exister. Mais non sans être adaptés à notre nouvelle réalité, qui nécessite des rencontres plus fréquentes qu’une fois l’an

C’est un face-à-face qui inquiète parfois. L’entretien annuel, ou entretien d’évaluation, ou ce moment d’échange sur ce qui va bien mais aussi ce qui va moins bien au travail. Certains de ces rendez-vous ont été repoussés ces deux dernières années, télétravail oblige, dans l’idée de les vivre en présentiel. Mais le retour au bureau dans de nouvelles conditions peut être l’occasion de s’interroger sur le fond et la forme les plus pertinents pour ces entretiens à l’avenir.
Il est tout d’abord utile de relever que le rendez-vous annuel n’est pas obligatoire au niveau légal, comme c’est le cas en France par exemple. «Il peut éventuellement être prévu dans certaines conventions collectives de travail, ou plus souvent dans les règlements d’entreprise, détaille Sandra Gerber, avocate en droit du travail. Dans certaines organisations, le droit à un bonus dépend des résultats de l’entretien d’évaluation et des objectifs qui sont fixés pour l’année suivante, l’entretien est donc conseillé en cas de litige entre le collaborateur et l’employeur. Mais dans les petites structures, ces entretiens se font souvent de façon beaucoup plus informelle.»
Des points plus fréquents
Toutes les entreprises ne sont en effet pas logées à la même enseigne. Dans les petites et moyennes entreprises, l’entretien annuel formel n’est pas toujours une réalité. Chez Fleuriot Fleurs, par exemple, basé à Genève et où travaillent 55 personnes, le modèle est différent. «Nous n’avons pas de systématique. Comme il s’agit d’une entreprise familiale, le contact est quotidien et les discussions sans convocations, raconte Charles Millo, directeur général. Dans les échanges un peu plus formels avec les collaborateurs, plutôt mensuels, nous parlons également de leur vie privée s’ils le désirent, des problèmes rencontrés au travail, et ce, tout au long de l’année, pas une seule fois.»
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Au contraire, dans certaines multinationales notamment, «les entretiens sont très axés sur les résultats chiffrés et cela va perdurer», estime Françoise Christ, consultante en entreprise en Suisse romande. De grandes entreprises ont cependant aussi décidé de revoir leurs habitudes. C’est le cas de la société d’audit et de conseils Deloitte, avec ses 2200 collaborateurs, dans laquelle l’ancien entretien annuel n’existe plus que pour communiquer la décision de rémunération annuelle. Depuis six ans, l’entreprise lui a préféré les check in, soit un point toutes les deux semaines entre chaque collaborateur et son responsable. Au programme: priorités, performance et questions autour du bien-être. Un système qui porte ses fruits, selon Liza Engel, directrice des ressources humaines. «Il y a une corrélation directe entre la fréquence de ces rendez-vous et l’investissement des collaborateurs. Un seul entretien annuel ne convient plus à notre monde volatil, incertain et complexe.»
Des rencontres régulières et plus informelles, c’est bien le modèle que prône Philippe Guittet, cofondateur de Madircom, cabinet de recrutement et de conseil RH en France. «Si on fait le point seulement une fois par an, c’est comme les bonnes résolutions qu’on écrit au début de l’année et qu’on oublie.» Il met aussi en garde contre les entretiens réalisés en quinze minutes comme une simple formalité administrative. «Cela n’a aucun intérêt pour le collaborateur.»
De nouvelles dimensions
Qui dit coronavirus dit aussi nouvelles dimensions à aborder lors de ces entretiens. «Le covid a amené à apporter une attention particulière à la personne, plus qu’à la fonction, et donc à se soucier de l’état d’esprit des équipes», note Philippe Guittet.
«Pouvoir parler des difficultés rencontrées lors des entretiens relève du bon sens depuis bien avant la pandémie, renchérit Françoise Christ. Ce qui est nouveau, par contre, c’est de s’interroger à cette occasion sur la gestion du travail collectif quand on n’est plus tout le temps sur le même lieu de travail.»
Deux entretiens «déconnectés»
Pour éviter un entretien qui soit trop administratif, évaluatif ou qui omette au contraire ces dimensions, Françoise Christ propose de déconnecter les deux. «Il peut y avoir un entretien d’évaluation et un entretien de développement du collaborateur.»
C’est peu ou prou ce qu’a instauré le Groupe Mutuel. «Nos entretiens, qui ont lieu deux fois par an, ont été très importants pendant cette période de covid et ils continueront de l’être, précise Kristel Rouiller, directrice des ressources humaines de la société d’assurance qui compte plus de 2700 collaborateurs. «Il y a d’abord un premier bilan et une définition des objectifs annuels puis, lors d’un deuxième entretien durant l’été, un bilan (et au besoin un réajustement) des objectifs et une partie davantage tournée vers le développement personnel du collaborateur: ses motivations en matière de mobilité interne, ses besoins de formation, etc.»
La prochaine étape pour le Groupe Mutuel? Des retours aux collaborateurs et entre collaborateurs beaucoup plus réguliers «qui enlèvent la lourdeur d’un rendez-vous deux fois par an. Mais ils font partie d’une culture du feed-back plus générale que nous commençons à implémenter et cela prend du temps», note Kristel Rouiller.
Si ces rencontres peuvent faire l’objet d’un renouveau, le collaborateur a lui aussi un rôle à jouer lors du ou des entretiens, rappelle Philippe Guittet: «Le manager n’est pas un devin. Il faut pouvoir lui dire si on fait par exemple bien son travail mais qu’on a tendance à s’ennuyer à son poste.» Et pour que la discussion soit constructive, il s’agit d’arriver aussi avec des propositions, avance Françoise Christ. Pour que l’entretien ne soit pas une liste de plaintes.
Pour éviter les démissions?
Le rôle de l’entretien peut aussi être questionné en regard de ces chiffres: en Suisse, la moitié des salariés sont ouverts à un nouveau défi professionnel ou recherchent activement un emploi, selon la société Randstad. Ce rendez-vous représente-t-il un levier pour éviter des démissions? Oui et non. «Ce qui peut se jouer à l’entretien, par exemple, c’est le fait d’exprimer un souhait d’évolution à l’interne, jugé possible ou non par la suite, note Françoise Christ. Mais la motivation se ressent davantage dans les interactions du quotidien.»
C’est que l’annonce du départ se fait parfois lors de ces points de situation… où il est donc trop tard. Charles Millo, de Fleuriot Fleurs, ne voit ainsi pas tellement ces rendez-vous comme un levier pour éviter les démissions. «J’ai perdu 20% de mon personnel l’année passée, dont beaucoup de personnes qui avaient eu un déclic avec le coronavirus et voulaient changer complètement d’orientation ou réduire leur temps de travail. Face à cela, vous ne pouvez rien faire.»
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