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Pourquoi est-on épuisé après une journée de travail?

Le bureau est le lieu où nous nous efforçons le plus d’avoir un contrôle sur nous-mêmes. Mais cette maîtrise de soi, outre le fait qu’elle est extrêmement fatigante, peut avoir l’effet inverse, soit une absence totale de contrôle

«Plus on se contrôle, plus la capacité à se contrôler diminue», assure Emma Seppälä, chercheuse à l’Université Stanford. — © Getty Images/Ikon Images
«Plus on se contrôle, plus la capacité à se contrôler diminue», assure Emma Seppälä, chercheuse à l’Université Stanford. — © Getty Images/Ikon Images

Pourquoi est-on si fatigué après une journée de travail? Elliot Berkman, professeur de psychologie à l’Université d’Oregon, explique qu’à notre époque les facteurs d’épuisement ne sont plus physiques mais psychologiques. Il ajoute que le contrôle de soi figure en tête de liste des facteurs qui agissent le plus sur notre fatigue psychologique.

Un autocontrôle hautement énergivore

Sans surprise, le lieu où nous nous efforçons le plus d’avoir un contrôle sur nous-même est le bureau. «Tout au long de la journée de travail, on essaie, certains jours avec plus de réussite que d’autres, de refréner ses envies et de se focaliser sur les tâches à accomplir», explique Emma Seppälä dans La piste du bonheur: le pouvoir du bonheur pour réussir au travail et dans la vie (Ed. De Boeck). Cet autocontrôle est profondément épuisant. «Il consomme notre énergie de quatre manières: en contrôlant nos envies, nos performances, notre attitude et nos pensées.» Ainsi, continuer à travailler sur une présentation au lieu de céder à la tentation d’organiser ses prochaines vacances demande un effort, de même que garder un ton poli et un comportement professionnel dans une atmosphère de travail hostile. «Combien il est tentant de dire à son chef ou à ses collègues le fond de sa pensée quand ils critiquent notre travail? Etant donné le nombre de comportements, pensées et sentiments que l’on est amené à contrôler, est-il vraiment étonnant que l’on soit épuisé à la fin de la journée?»

La maîtrise de soi est une ressource finie

Roy Baumeister, professeur à l’Université de l’Etat de Floride et expert mondial de l’autocontrôle, compare la capacité à se contrôler à un muscle qui peut se renforcer avec le temps, mais aussi s’user. Pour le dire autrement, la maîtrise de soi est une ressource finie. «N’avez-vous jamais constaté que votre contrôle sur vous-même est fort le matin, mais s’érode au fil de la journée, jusqu’à éventuellement disparaître le soir? interroge Emma Seppälä. C’est dû à l’épuisement de la capacité de contrôle. Curieusement, la maîtrise de soi, quand elle est exercée avec excès, est tellement fatigante qu’elle a l’effet inverse: l’absence totale de contrôle.»

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Une étude pionnière conduite par Roy Baumeister, Ellen Bratslavsky, Mark Muraven et Dianne Tice met en évidence cet affaiblissement de la puissance de notre volonté au fur et à mesure de sa mobilisation. «Les personnes recrutées pour participer à l’expérimentation se trouvaient dans une pièce avec un buffet proposant des biscuits et des bols contenant des radis, écrit Eric Singler dans Nudge Management (Ed. Pearson). Certains participants étaient invités à tester les cookies alors que d’autres devaient manger des radis et résister à la tentation de goûter aux petits gâteaux appétissants.» On leur donnait ensuite un exercice: résoudre un problème dont on leur cachait qu’il était insoluble. «Les participants qui avaient eu le loisir de manger les cookies, et qui n’avaient pas eu à exercer leur volonté en résistant à la tentation, avaient abandonné en moyenne au bout de 19 minutes. Quant aux individus qui s’étaient contentés de radis, et avaient donc déjà puisé dans leurs ressources, ils s’étaient arrêtés au bout de 8 minutes.»

«Effet de moralité du matin»

Dans une autre expérience, ces mêmes chercheurs ont demandé à la moitié des participants de défendre une cause à laquelle ils étaient opposés tandis que l’autre moitié des participants étaient dispensés de cet exercice. Une fois encore, on leur a soumis par la suite une énigme insoluble. Ceux qui avaient dû argumenter à contrecœur ont stoppé leurs efforts plus tôt. «Plus on se contrôle, que ce soit au niveau des sens (chocolat) ou des convictions personnelles, plus la capacité à se contrôler diminue», assure Emma Seppälä.

Depuis Roy Baumeister, plus de 200 études sont venues confirmer ce fait. Ainsi, d’autres recherches ont démontré que lorsqu’on a passé une journée à se contenir au travail (faire attention à ce que l’on dit devant ses collègues, par exemple), on est plus susceptible de boire davantage le soir venu mais aussi de manger déséquilibré en rentrant chez soi. Plus surprenant encore, une étude a même montré qu’à mesure que la journée avance, on a plus de chances de ne pas avoir un comportement éthique. «Cet «effet de moralité du matin» mis au jour par les chercheurs est en partie dû à la perte de maîtrise de soi dans l’après-midi», poursuit Emma Seppälä.

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«On cède à ce que l’on cherche à éviter»

De façon intéressante, c’est probablement cette usure qui explique certains exemples de pertes de contrôle majeures chez des personnes occupant des fonctions élevées, soumises à de fortes pressions. «La presse se fait souvent l’écho de ces politiciens et PDG pris dans des scandales financiers ou extraconjugaux. Les exigences de leur travail sont plus intenses que la moyenne et réclament un grand contrôle de soi: ils doivent se comporter de façon irréprochable, leurs mots doivent être choisis, mesurés, et leur attention maintenue pendant de longues journées de travail.» La charge de travail, les pressions, et le contrôle de soi sont si élevés qu’ils finissent par succomber à la fatigue et faire de mauvais choix.

Ainsi, s’il est indéniable que la maîtrise de soi et la discipline sont des ingrédients essentiels de la réussite, il n’en reste pas moins qu’un trop gros effort sur soi-même conduit à l’épuisement mental et physique. En définitive, l’objectif visé n’est pas atteint. «Quel que soit le type de stress – et la pression que l’on se met est déjà un stress – on cède exactement à ce que l’on cherche à éviter», conclut Emma Seppälä.