Formation continue, de la parole aux actes
Employabilité
AbonnéL’importance de l’apprentissage tout au long de la vie pour mettre à jour ses compétences est régulièrement soulignée. Mais le temps et les moyens manquent souvent et la formation continue est en baisse. Des solutions existent pourtant

C’est une petite plaisanterie qui tourne dans le milieu des ressources humaines: «Que se passe-t-il si on forme le collaborateur et qu’il part?» demande un employeur. Les ressources humaines lui rétorquent: «Et si on ne le forme pas, et qu’il reste?»
Damien*, lui, a finalement décidé de quitter son emploi. Jeune cadre dans un domaine en constante évolution, il a rapidement constaté que certaines connaissances techniques pointues lui manquaient pour être vraiment performant à son poste. «Il y avait un décalage entre ce qu’on attendait de moi et ce que j’étais capable de faire. On m’a alors confié des dossiers sur des thématiques beaucoup moins intéressantes, qui n’étaient pas ce pour quoi j’avais été embauché. J’ai alors proposé de m’inscrire à un CAS (Certificate of Advanced Studies). Je l’aurais financé et effectué en parallèle de mon travail à 80%. Mais mon patron m’a dit qu’un CAS n’était pas utile. En même temps, personne n’était vraiment disponible au bureau pour me former.»
Se former pendant ses vacances?
Une expérience compliquée qui a beaucoup fait réfléchir Damien. Aujourd’hui, il envisage une formation continue dans un domaine parallèle. Cette fois-ci, il cherche un travail qui se combine avec sa formation, et plus l’inverse. Car mener les deux de front est délicat. «J’ai des amis qui se sont formés sur leurs jours de vacances. Mais pour une formation conséquente, ça veut dire environ une année sans congé. Je préfère sacrifier sur le salaire en prenant un emploi à temps partiel.»
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La formation continue représente un enjeu de taille, alors que le monde du travail évolue de plus en plus vite. Pourtant, Isabelle Chappuis, directrice du Swiss Center for Positive Futures de l’Université de Lausanne, n’est pas convaincue que la société mesure son importance. «Le système actuel pense encore la vie en trois étapes: apprendre, travailler, profiter de sa retraite. Beaucoup de personnes imaginent que faire un bon apprentissage ou une bonne université suffit pour toute la vie. C’est complètement faux et il faut en prendre conscience.»
Une fois la prise de conscience effectuée, d’autres obstacles rendent ces «mises à jour» délicates: «Pour les petites entreprises, avoir un employé en formation qui manque le vendredi, cela peut représenter des difficultés que vont moins rencontrer UBS ou Nestlé», relève Marco Taddei, responsable Suisse romande de l’Union patronale suisse. «En emploi, si on n’a pas le soutien de son employeur, c’est extrêmement compliqué», souligne Caroline Meier, directrice du secrétariat romand de la Fédération suisse pour la formation continue suisse (FSEA).
Une responsabilité individuelle
C’est qu’en Suisse, la formation continue est régie par une loi fédérale cadre datant de 2017. Elle stipule qu’elle relève de la responsabilité individuelle: les employeurs «favorisent» la formation continue de leurs collaborateurs et la Confédération et les cantons «contribuent» à son accessibilité. «C’est vague si on compare avec la France, où les employeurs sont contraints de participer au financement des formations, commente Caroline Meier. Notre loi permet aux gens d’être acteurs de leur formation, c’est bien, mais on sait aussi que ce sont ceux qui sont déjà formés qui continuent principalement de le faire.»
Si la formation continue relève bien de la responsabilité individuelle, les employeurs ont conscience – pour la plupart – que la réussite de leur entreprise dépend de la mise à niveau des compétences des collaborateurs, estime Marco Taddei. «Proposer des formations est aussi une façon d’attirer les talents.»
Selon des chiffres de l’OFS parus cette semaine, 45% de la population âgée de 25 à 74 ans a suivi une formation continue en 2021. Soit moins que lors de la dernière enquête il y a cinq ans (62% ). «Avec le coronavirus, la formation était moins prioritaire», analyse Marco Taddei. Un cinquième des personnes qui se sont formées y ont consacré jusqu’à 8 heures, 36% entre 8 et 40 heures et 44% plus de 40 heures sur l’année. Des disparités entre les travailleurs qui se forment un peu, beaucoup ou pas du tout, mais aussi entre les cantons: Genève, par exemple, dispose d’un chèque annuel de formation.
A Genève justement, les Services industriels de Genève (SIG), se montrent proactifs. Ils proposent 150 formations différentes en interne à leurs 1700 employés environ. Au programme: communication, collaboration, ou encore santé et sécurité. Avec l’objectif que 70% des collaborateurs bénéficient d’au moins une formation chaque année. Aude Ribis, responsable développement RH et des organisations , raconte: «Le secteur de l’énergie subit beaucoup d’évolutions avec la digitalisation des processus. On se doit d’accompagner les collaborateurs.»
C’est une véritable culture apprenante que l’entreprise cherche à développer: il y a les cours, de quelques heures à quelques jours, mais aussi d’autres formats, comme des vidéos réalisées par les collaborateurs eux-mêmes. «Nous essayons aussi de sortir la formation des classes, qu’elle se fasse sur la place de travail, ce qui est souvent plus efficace qu’une formation générique, développe Aude Ribis. L’impact sur le temps en est aussi plus léger: il s’agit toujours de doser le bon dispositif en fonction de l’objectif.»
Voir au-delà des coûts
Et quand un collaborateur manifeste le besoin de suivre une formation plus conséquente, comme un CAS ou un DAS (Diploma of Advanced Studies)? «S’il a un lien avec la pratique métier et qu’il l’enrichit, l’entreprise le prend financièrement en charge, répond Aude Ribis. Je préfère quelqu’un qui est motivé et engagé au travail grâce à sa formation qu’une personne qui l’est moyennement. Je ne vois pas la formation que par rapport au temps qu’elle peut représenter.»
En ce sens, Caroline Meier encourage un partenariat plus fort entre politiques, patrons et syndicats, pour «sortir de la logique qu’une formation, c’est simplement des coûts, alors que c’est un investissement sur lequel l’entreprise est gagnante aussi».
Mais tout le monde n’a pas le temps (ou les moyens) de suivre un DAS pendant deux ans, admet Caroline Meier. «Pour encourager à plus de formation continue, il faut aussi qu’employeurs et employés valorisent davantage des formations plus courtes, comme la maîtrise d’un nouveau logiciel, par exemple.» Isabelle Chappuis la rejoint: «L’objectif, c’est que les gens aient des compétences, pas des certificats.»
Et en matière de coûts? On ignore souvent l’existence de nombreuses subventions, regrette Caroline Meier. Notamment celle-ci: ceux qui suivent des cours préparant à un examen professionnel (supérieur) sont remboursés par la Confédération jusqu’à 50% des frais si elles se présentent à l’examen. Damien a ainsi découvert qu’il existait des aides dans son canton pour sa future formation. «Ça a un impact bien sûr, puisqu’il s’agit d’un cursus de plusieurs milliers de francs», rapporte-t-il.
Davantage de mesures institutionnelles permettraient aussi de passer du discours à la réalité, selon Isabelle Chappuis. Pour les médecins suisses, par exemple, la formation continue est obligatoire. A Singapour, il existe un système de crédits de formation par habitant. Pour la Suisse, elle imagine un nouveau modèle: «Un manque de formation continue peut amener à une obsolescence humaine, un véritable risque. Il faudrait prévoir, comme l’assurance chômage, une sorte d’assurance compétences, pour ceux qui tombent en obsolescence.»
*Prénom d’emprunt
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