«L’âge d’or des expatriés est révolu»

Coûts L’expatriation «light» est devenue la norme pour les multinationales

Cartus, le leader mondial de la délocalisation, témoigne des dernières tendances en Suisse

Quelles sont les grandes tendances de l’expatriation? A en croire Cartus, le leader mondial de mobilité professionnelle basé aux Etats-Unis, les multinationales n’ont cessé de se serrer la ceinture ces dernières années. En plus de négocier les loyers de leurs expatriés, augmenter les taux de récupération des cautions ou proposer des indemnités plutôt qu’un logement de fonction, elles économisent sur les formations d’intégration à l’étranger, réduisent leurs services d’accompagnement, etc. Le point avec Yaele Meilland, ex-directrice pour les marchés helvétiques et allemands chez Cartus, fraîchement installée en Asie.

Le Temps: Qu’est-ce qui a changé en dix ans du point de vue de l’expatriation?

Yaele Meilland: Les politiques en matière de mobilité des effectifs sont devenues plus variées. Elles diffèrent aussi grandement du modèle traditionnel: préférence aux contrats locaux, davantage d’affectations à court terme, mise en place de systèmes pendulaires où l’expatrié est à l’étranger en semaine mais de retour au pays les week-ends, volonté de prolonger au maximum les voyages d’affaires, etc.

– A vous entendre, il ne fait plus bon être un expatrié.

– Non, ce statut fait toujours partie des étapes utiles au développement de talents. En revanche, l’âge d’or de l’expatrié, à qui l’on déroule le tapis rouge, est définitivement révolu. Car les scénarios d’expatriation sont aujourd’hui plus complexes et difficiles à gérer. Principalement en raison du besoin accru de contrôler les coûts. L’année dernière, pour la première fois en 14 ans de carrière, plusieurs de mes clients ont réduit leurs allocations de logement de 10%. Et le nombre de sociétés autorisant les familles accompagnantes lors de missions de longue durée a diminué d’encore 15%.

– Que coûte un expatrié par rapport à un collaborateur lambda?

– Il représente le double, voire le triple du salaire annuel d’un employé normal.

– Est-il possible de détailler les frais d’une expatriation, des dépenses liées au déménagement aux frais de garde de parents âgés dépendants?

– La maîtrise des coûts est plus que jamais une priorité. Or pour y parvenir, il faut pouvoir détailler les frais engendrés par une expatriation. De plus en plus de multinationales se munissent d’outils idoines. Une telle démarche est vitale, car si un expatrié coûte déjà cher, une expatriation avortée l’est encore plus. Dans 40% des cas, les expatriations échouent. Et cela, en partie parce que les coûts ont été mal évalués et que l’employé mobilisé à l’étranger s’est transformé en gouffre financier.

– Y a-t-il moins d’expatriés envoyés en Suisse, destination particulièrement onéreuse?

– Nous observons ces deux dernières années un changement important: d’un tiers de départs contre deux tiers d’arrivées, nous sommes passés à l’équilibre [50/50]. Cette tendance semble se poursuivre.

– Pourtant, plusieurs études parues ces derniers mois placent la Suisse en tête des destinations les plus prisées au monde.

– La Suisse est en effet une place de choix. Outre le niveau de vie élevé ou, parfois, des tensions sur le marché de l’immobilier, les différences culturelles et linguistiques entre régions peuvent constituer une barrière importante. Néanmoins, une fois le choc passé, les expatriés se plaisent en général dans ce pays.

– C’est-à-dire?

– Le niveau d’éducation en Suisse, le fait que l’on s’y sent proche de la nature, la sécurité qui y règne, le contexte général de stabilité économique et politique, sa dimension internationale et multiculturelle, la présence d’une industrie de pointe, son positionnement géographique en Europe, etc. Ce sont autant d’éléments qui maintiennent la qualité de vie en Suisse à des niveaux très attractifs.

– Alors comment expliquer cette diminution de flux d’arrivants?

– Ce recul s’explique par la présence d’une concurrence renforcée. Un nombre grandissant de pays étrangers offrent des avantages fiscaux très avantageux pour attirer des multinationales.

– A quel point les conditions d’expatriation, en général, se sont-elles détériorées?

– L’un des phénomènes les plus marquants, notamment en Suisse, est la prolifération de contrats locaux, par opposition aux contrats d’expatriés rattachés à leur pays d’origine. Ce système implique que le salarié reste dorénavant pour une plus longue durée. Avec pour inconvénient majeur, la perte d’une certaine sécurité de l’emploi. Le collaborateur n’a pas la garantie de récupérer un travail à son retour au pays.

– Mais encore?

– L’expatrié est aussi devenu responsable de son bien immobilier. Les baux sont généralement à son nom. En Suisse, tout particulièrement, les multinationales ont cessé de payer pour tout. Toutefois, cette généralisation des programmes light est un phénomène mondial.

– Quels sont les pays les plus difficiles d’accès, en termes culturels, fiscaux, administratifs, etc.?

– D’après notre dernier sondage réalisé en 2014, le continent africain arrive en tête. Les entreprises interrogées y déplorent des problèmes de sécurité et de manque d’infrastructures. Vient ensuite l’Inde, aussi pour des questions d’infrastructures, mais également des difficultés d’ordre culturel. En Europe, l’essentiel des défis concerne le logement et la mise en conformité fiscale.

– Combien rapporte un expatrié à son entreprise ou aux collectivités publiques qui l’accueillent?

– Voilà l’une des grandes questions de l’industrie de la mobilité globale. Les sommes dépensées dans des programmes d’expatriation sont considérables, mais les retours sur investissement sont rarement mesurés. Cette absence de stratégie à long terme s’explique sans doute par la logique de profits à court terme qui semble aujourd’hui caractériser le monde des affaires. Pour preuve, empiriquement, nous observons que les départements RH des multinationales n’ont toujours aucune perspective quant aux volumes d’employés qui vont être envoyés en mission à l’étranger dans les mois à venir.