Dans le cadre d'une série consacrée aux métiers qui se réinventent, Le Temps met à l'honneur les différents milieux professionnels au sein desquels une révolution s'opère. 

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«Sortez vos manuels, et ouvrez-les à la page…» Cette antienne qui réveille des souvenirs pour des générations d’anciens élèves n’est désormais plus d’actualité au Gymnase intercantonal de la Broye (GYB) sis à Payerne. La grande majorité des quelque 1200 élèves de 15 à 19 ans y suivent en effet un cursus dit numérique. Plus de papier: les livres et feuilles y sont remplacés par des supports informatiques.

«Depuis 2013, le GYB donne la possibilité aux élèves de choisir au départ de leur cursus entre filière classique et numérique, témoigne Anouk Spicher-Thommen, enseignante d’anglais. Les élèves en cursus numérique sont autorisés à prendre leur ordinateur ou leur tablette en classe. Sur l’ensemble de la scolarité, il n’y a pas de surcoût pour les parents, car l’investissement est compensé par les fournitures numériques qui sont globalement meilleur marché que les manuels et autres livres papier.»

Tableau noir à la remise

Seuls 16% des élèves continuent de suivre un enseignement classique. «Les élèves des deux cursus sont mélangés au sein des classes, explique l’enseignante qui travaille depuis 2006 au GYB. Au niveau pratique, les élèves sont devant un écran au lieu d’être devant une feuille de papier.» Quant à l’équipement des classes, toutes sont au même régime: l’incontournable wi-fi, un ordinateur, un beamer et un mur blanc sur lequel sont projetés les documents pédagogiques ont remisé les antédiluviens tableaux noirs des écoles d’antan.

Une opinion: Alphabétisation numérique: il faut recycler le corps enseignant

La préparation des cours se fait de manière quasi identique, à la différence près que désormais les professeurs mettent les supports pédagogiques sur un serveur informatique auquel les élèves ont accès durant et en dehors de la classe. «Le plus gros du travail de préparation consiste toujours à faire des choix pédagogiques pertinents et créer les documents qui vont permettre de donner une leçon en adéquation avec les compétences visées; comprise comme cela, la digitalisation ne change pas grand-chose.» Si ce n’est qu’auparavant on photocopiait un document en 24 exemplaires alors que, maintenant, «ce n’est qu’en trois ou quatre exemplaires selon le nombre d’élèves en cursus classique». Seul obstacle à la digitalisation, nombre de fournitures scolaires ne sont pas toujours numérisées.

«Toute cette technologie est au service de la pédagogie, insiste Anouk Spicher-Thommen. Auparavant, on utilisait l’informatique juste pour aller rechercher des informations sur Internet ou taper des textes. Maintenant, on va beaucoup plus loin.» Les nouveaux outils font partie intégrante des enseignements pour autant qu’ils apportent de la valeur ajoutée au cours, par exemple grâce au logiciel Kinaps développé par Future Instruments, une start-up de l’EPFL Innovation Park: «D’un clic, je peux partager l’écran d’un élève avec toute la classe. Je peux envoyer des documents intégrant des liens hypertextes, des images, des vidéos à certains élèves ou à toute la classe. Le travail collaboratif est renforcé. Je peux aussi faire du travail différencié de façon très simple. Avant, c’était beaucoup plus compliqué à réaliser.»

L’exemple de l’examen oral

Par exemple pour un examen oral à blanc, des groupes d’élèves peuvent se filmer à l’aide de leur tablette ou smartphone, puis grâce au site Scolcast, ils ont ensuite accès en ligne à la vidéo pour visualiser leur prestation et l’améliorer. «Tout le know-how acquis sera un atout pour eux dans leur vie professionnelle future. On leur donne des compétences non seulement au niveau de la branche mais aussi au niveau social ou du savoir-être. Tout ça, on le réalise à travers la technologie.»

Mais la numérisation ne change pas que l’enseignement, elle modifie aussi les relations avec les parents. Ces derniers peuvent s’inscrire sur un portail dédié où ils ont accès au carnet de leur enfant. Ils peuvent par exemple y contrôler et justifier les absences de leur progéniture ou vérifier les notes. Les carnets semestriels sont toutefois toujours envoyés par courrier.

Curieuse par nature, Anouck Spicher-Thommen s’est toujours intéressée aux nouvelles technologies. Elle n’a donc pas hésité pour faire partie des collaborateurs référents, dont la formation est plus poussée et dont le rôle est d’aider leurs collègues à utiliser les outils informatiques. La direction du GYB encourage fortement ses enseignants à intégrer toutes les possibilités offertes par les outils numériques. L’établissement est appuyé dans sa démarche par Fri-Tic, le centre médias et technologies de l’information et de la communication (Mitic) de la Direction fribourgeoise de l’instruction publique.

Décalage avec les autres établissements

L’avance numérique du GYB est parfois en décalage avec les autres établissements: «On a l’impression que ce qu’on vit au quotidien au GYB, c’est la normalité. Or lors de formations continues avec des collègues d’autres établissements, on réalise que ce n’est de loin pas le cas.»

Le Gymnase intercantonal de la Broye, à cheval entre Vaud et Fribourg, offre aux deux cantons un lieu d’échanges et d’innovations. Si l’intégration des Mitic est en cours à Fribourg depuis le début des années 2000, le canton de Vaud, lui, prend son temps. Mais la nouvelle conseillère d’Etat Cesla Amarelle en a fait un combat prioritaire depuis la rentrée scolaire 2017.

«Je pense que d’ici cinq à dix ans, tout le monde va s’y mettre», positive Anouk Spicher-Thommen. D’ici là, la prochaine étape naturelle qui attend les élèves du GYB sera certainement le passage aux examens en version numérique…