L’empathie au bureau, ça se mesure
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Un bon niveau d’intelligence émotionnelle est aujourd’hui requis dans la plupart des milieux professionnels, en particulier pour les postes à responsabilité. Pour mesurer cette aptitude au travail, l’Université de Genève a mis au point un test d’évaluation

Qui dit collègue brillant ne dit pas toujours collègue plaisant. On le sait, résultats, performances et autres bilans professionnels peuvent renseigner sur un employeur ou un employé, mais ils ne traduisent pas forcément ses qualités humaines.
Pourtant, cette dimension est essentielle au travail, affirme Marcello Mortillaro, chercheur au Centre interfacultaire des sciences affectives de l’Université de Genève. «La plupart des professions d’aujourd’hui impliquent des relations avec des collègues ou des clients. Nous avons besoin de personnes qui gèrent efficacement ces échanges.» Reconnaître les émotions des autres, les comprendre, gérer ses propres émotions et celles de ses pairs, des facultés qui peuvent se résumer en un concept: l’intelligence émotionnelle.
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«Savoir gérer les problèmes de façon efficace»
Et comme les années d’expérience, l’intelligence émotionnelle peut désormais se mesurer. Marcello Mortillaro et Katja Schlegel, chercheuse à l’Institut de psychologie de l’Université de Berne, ont conçu le Geneva Emotional Competence Test (GECO). L'outil pose un diagnostic après une évaluation en quatre phases autour de la compréhension et de la gestion des émotions, au moyen de questions à choix multiple et de vidéos.
Mais attention, si vous pensez qu’avoir un haut niveau d’intelligence émotionnelle équivaut à afficher une bonne humeur permanente, vous vous trompez. «Cela ne signifie pas ne jamais rencontrer de problèmes, mais savoir les gérer de façon efficace», détaille Marcello Mortillaro. L’évaluation se fait en calculant le nombre de réponses correctes. Les chercheurs se sont basés sur de la théorie, des jugements d’experts et des situations vécues racontées par des managers.
Une méthodologie efficace? Marina Fiori, professeure invitée à l’Ecole hôtelière de Lausanne et spécialiste de l’intelligence émotionnelle, salue le progrès. «Un des seuls tests qui existait jusqu-là, créé en 1997 à Yale, était biaisé. L’évaluation se faisait en fonction de ce que répondaient la plupart des gens.»
La professeure souligne aussi les limites de ce nouveau test: «Face aux situations décrites, il est possible de répondre correctement sur la façon de se comporter, mais d’être incapable de l’appliquer en temps réel.» Une prochaine étape serait pour elle de pouvoir mesurer des réactions spontanées.
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«Les qualités humaines toujours plus valorisées»
Au sein des entreprises, le rôle de l’intelligence émotionnelle est de plus en plus pris au sérieux. Alspective, société internationale de recrutement, utilise désormais la version commerciale du GECO. «Nous avons un nombre croissant de demandes autour de l’intelligence émotionnelle, pour coacher les managers ou pour trouver le candidat idéal», témoigne Georges Bouverat, cofondateur d’Alspective Suisse et associé gérant. A l’ère de la numérisation, les qualités humaines sont toujours plus valorisées. La personnalité ne peut pas s’acquérir, contrairement aux savoirs.
Pour Sébastien Simonet, responsable au sein de Nantys, société spécialisée en évaluation de compétences, mesurer scientifiquement l’intelligence émotionnelle est pertinent. «Il nous manquait un outil pour appréhender les candidats autrement que par leurs compétences techniques.» Nantys a participé à la conception du test et est en charge de sa commercialisation. Une dizaine de sociétés de recrutement et de conseil l’utilisent aujourd’hui.
Comprendre ses clients, un impératif pour un vendeur. Gérer son stress, une nécessité pour un pilote. L’intelligence émotionnelle joue un rôle important dans des secteurs divers, mais aussi à des postes clés, souligne Marcello Mortillaro. «C’est la combinaison des compétences techniques et de l’intelligence émotionnelle qui permet aux managers d’être performants et bien perçus par leurs collaborateurs.»
Et la compréhension et la gestion des émotions est une mission particulièrement délicate pour des cadres, selon Sébastien Simonet. «Ils doivent pouvoir anticiper les états d’âme de leur équipe, et gérer en parallèle leur propre fatigue et leur propre pression. L’ego a en plus tendance à gonfler avec les responsabilités, amenant parfois à avoir moins d’égard pour l’autre.»
Améliorer son niveau
Si le test pointe des lacunes, rien n’est figé: l’intelligence émotionnelle s’entraîne. «Elle s’améliore avec l’âge et l’expérience», note Marcello Mortillaro. Il existe notamment des formations. Nadine Cossy, cheffe de l’Office de la population du canton de Vaud, a par exemple suivi le cours «L’intelligence émotionnelle, clé du management» au Centre romand de promotion du management (CRPM).
Après une partie théorique, les participants ont effectué des jeux de rôle, en simulant par exemple l’annonce d’un déménagement à leurs collaborateurs. Des exercices qui ont été utiles à Nadine Cossy: «Je suis devenue plus attentive à mon équipe mais aussi aux citoyens qui s’adressent à nous. Je peux mieux me mettre à leur place pour leur donner la meilleure réponse possible.»
L’animatrice de cette formation, c’est Sephora Martin. Cette formatrice et fondatrice de la société Ikrita intervient notamment dans des centres de formation ou pour les Etats de Genève, de Vaud et du Valais. Ses cours destinés aux managers présentent un objectif double. «Je leur apprends à identifier, exprimer et réguler leurs émotions, mais aussi à aider leurs collaborateurs à le faire», souligne Sephora Martin. Elle donne un exemple: «Lors d’un entretien avec un collaborateur à qui il va refuser une augmentation, un responsable peut passer à côté de la dimension émotionnelle du moment. Mais s’il perçoit de la colère ou de la déception chez son employé, il faudrait l’amener à exprimer ce qu’il ressent. Beaucoup d’entreprises laissent encore trop peu de place aux émotions.»
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