«Nous ne devons pas forcer les femmes ayant moins d’ambition à s’en trouver insatisfaites»
Emploi
Beaucoup d’étudiantes souhaitent que leur partenaire assure le revenu principal lorsqu’elles fonderont une famille, révèle une étude de l’Université de Zurich. Interview de Margit Osterloh, l’une de ses auteures

Du temps partiel et un partenaire qui assure le revenu principal. C’est ce que veulent de nombreuses étudiantes ayant choisi des branches à prédominance féminine. Les étudiants ont, encore davantage, une vision traditionnelle des carrières féminines et masculines.
Depuis trois jours, ces résultats relayés dans la SonntagsZeitung défraient la chronique, parce qu’ils choquent ou qu’ils sont accusés par certains d’être instrumentalisés. Ils sont issus d’une étude réalisée par Margit Osterloh, professeure d’économie, et Katja Rost, sociologue, toutes deux exerçant à l’Université de Zurich. Près de 9000 étudiantes et étudiants de l’Université de Zurich et de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ont été sondés.
Les chercheuses tentaient ainsi de comprendre le fameux phénomène du «tuyau percé», soit la diminution de la participation des femmes au fur et à mesure que l’on gravit les échelons de la carrière scientifique. A Zurich par exemple, près de 60% des étudiants sont des femmes, mais la proportion de professeures n’est que de 24%. Pour rappel, les femmes occupent 22% des postes de cadres supérieurs en Suisse, selon des chiffres de 2021.
Margit Osterloh se dit surprise: depuis la parution de l’étude, son téléphone ne cesse de sonner.
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Le Temps: Vos conclusions sont étonnantes. Peut-on les étendre au-delà du monde académique?
Margit Osterloh: Oui, mais avec des limitations. Ce ne sont pas des chiffres représentatifs pour la Suisse puisque les questionnaires ont été remplis par des étudiantes et étudiants, sans vision de la suite de leur parcours, et à Zurich seulement. Mais nous leur avons posé des questions sur leurs perspectives de carrière en général, pas seulement au niveau académique, dans le cas d’une arrivée potentielle d’enfants au sein de leur couple.
Justement, vous observez que de nombreuses étudiantes souhaitent un partenaire plus âgé et plus performant dans le milieu professionnel. Ne faut-il plus selon vous s’inquiéter que si peu de femmes occupent des postes à responsabilité?
Je pense qu’il faut accepter qu’il puisse exister des différences dans les préférences. Si les femmes ayant moins d’ambition de carrière ne s’en plaignent pas, nous ne devons pas les forcer à s’en trouver insatisfaites. Elles doivent cependant être conscientes des risques que le temps partiel peut impliquer au niveau financier, en particulier si elles divorcent. De la même manière, il n’est pas avantageux pour un homme d’assurer à lui seul les revenus du ménage.
Vous constatez aussi qu’une majorité d’hommes ont une vision traditionnelle des rôles. Comment cela se fait-il?
Les hommes ont une vision plus conservatrice encore de leur vie professionnelle et privée que les femmes et ont intériorisé plus fortement les stéréotypes masculins. Ils acceptent par exemple que leur compagne travaille à temps plein pour autant que cela n’affecte pas leur propre carrière. Tout cela rejoint d’autres statistiques qui montrent qu’en Suisse la différence entre hommes et femmes sur le marché du travail intervient surtout au moment de l’arrivée d’un enfant.
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Une petite minorité de femmes étudient dans des branches à prédominance masculine comme l’informatique et très peu d’hommes dans des branches à majorité féminine comme la psychologie. S’agit-il de choix ou d’une forme de pression sociétale?
Je ne peux pas répondre car nous n’avons pas interrogé les étudiantes et étudiants sur les causes de leurs préférences. Ils pourraient être en partie dus aux stéréotypes qui sont très persistants et à notre socialisation. Je ne crois personnellement pas beaucoup à la dimension biologique des préférences. Mais nous ne le savons pas.
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Y a-t-il schématiquement deux types de femmes, celles qui choisissent des disciplines à prédominance féminine, souvent moins carriéristes, et celles qui évoluent dans des disciplines à majorité masculine, en général plus carriéristes?
Il est intéressant de voir que ces femmes qui étudient dans des milieux plus masculins vivent moins le phénomène du tuyau percé: en médecine vétérinaire par exemple, les femmes représentent 82% des diplômées de bachelor, mais seulement 27% des postes de professeurs. Alors que dans le domaine de l’ingénierie électrique, les femmes représentent 12% des diplômées et 11% des postes de professeurs. Nous constatons, sans pouvoir l’expliquer exactement, que cette deuxième catégorie de femmes dispose de meilleures ressources pour faire carrière, elles avaient de meilleures notes à l’école secondaire par exemple.
Mais 11% de professeures dans l’ingénierie électrique, n’est-ce pas très peu?
Si, mais par rapport au nombre de diplômées, le phénomène du tuyau percé est beaucoup moins important pour les femmes dans ces domaines à prédominance masculine.
Les étudiantes ne signalent pas, à leur niveau, de discriminations liées à leur genre. Sauf en réponse à cette dernière question: «Vous sentez-vous avantagée ou désavantagée en tant que femme?» Comment l’expliquez-vous?
Il est frappant de constater qu’avant la mention du genre comme un possible facteur de discrimination, cette dimension n’apparaît pas chez les étudiantes. Nous n’avons pas d’explication certaine, mais notre interprétation est que rendre la question du genre saillante déclenche une réponse politiquement correcte.
Face au «tuyau percé», pourquoi n’êtes-vous pas favorable aux quotas de femmes à des postes de professeurs?
Ils sont inutiles pour les femmes dans les secteurs à prédominance masculine, puisque le phénomène du tuyau percé est moindre. Et des quotas ou autres mesures préférentielles auront du mal à convaincre les femmes dans les domaines à majorité féminine qui choisissent davantage leur branche en accord avec leurs aspirations de carrière limitées. Ils représentent donc une discrimination pour des hommes motivés qui ont aujourd’hui moins de chance d’accéder à un poste de professeur et pour des femmes très performantes qui n’ont aucune envie de n’être qu’un quota.
Quelles sont les autres solutions que vous suggérez?
Il faut sensibiliser les femmes au risque financier de trop mettre leur carrière entre parenthèses. Il faudrait aussi mettre fin à «l’horloge de titularisation» [la période probatoire de plusieurs années sur laquelle est évalué un professeur avant d’accéder à un poste permanent, ndlr]. Elle coïncide souvent pour les femmes avec «l’horloge biologique», rendant donc leur productivité plus faible sur cette période. Les femmes sont encore globalement peu représentées à des postes de professeurs et il est vrai que des quotas permettraient de réduire cet écart, mais nous pensons qu’ils ne sont pas souhaitables parce qu’ils créent des frustrations chez les hommes comme chez les femmes.
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