Parité au sein des directions, l’exemple d’Eli Lilly en Suisse
Mixité
La filiale suisse de la société pharmaceutique américaine Eli Lilly est dirigée par cinq femmes et cinq hommes. Entretien avec le directeur général Dan Staner et la directrice des ressources humaines, Karin Berney, le duo qui mène de concert une politique active de promotion des talents féminins à la tête de l’entreprise
«Yes, you can.» C’est le message que Dan Staner a voulu faire passer aux femmes de son équipe lorsqu’il a pris la tête d’Eli Lilly Suisse, en novembre 2005. «Je me souviens très bien, raconte-t-il, lorsque je suis arrivé, il y avait 90% d’hommes et 10% de femmes dans le comité de direction», alors que la filiale suisse de la société pharmaceutique américaine compte globalement 63% de femmes et 37% d’hommes parmi ses 76 employés. En chiffres ronds, la direction était alors composée de neufs hommes et d’une femme, la directrice des ressources humaines (DRH), Karin Berney.
«Cela ne jouait clairement pas, s’exclame Dan Staner. Alors j’ai invité les femmes désireuses de progresser dans leur carrière à se manifester.» Message reçu cinq sur cinq. Le lendemain, une première candidate est venue le trouver, CV en main. «Aujourd’hui, nous avons atteint la parité: nous comptons cinq hommes et cinq femmes au comité de direction.»
Dan Staner, 40 ans, incarne une génération de dirigeants pour qui la mixité à la tête des sociétés va de soi, comme la recherche d’un équilibre entre vies professionnelle et privée. Le jeune directeur général, entré chez Eli Lilly il y a 17 ans, a deux enfants, il est marié et sa femme travaille à 60%.
De son côté, la DRH, Karin Berney, mère de deux adolescents, travaille à 90%, après avoir eu longtemps congé le mercredi lorsque ses enfants étaient plus jeunes.
Entretien avec ce duo qui mène de concert une politique de promotion des talents féminins, au moment où certaines entreprises européennes, comme Deutsche Telekom, introduisent des quotas de 30% dans l’encadrement.
Le Temps: Comment êtes-vous parvenus à la parité au sein du comité de direction d’Eli Lilly Suisse? Avez-vous fixé un quota de 50%?
Dan Staner : Sur le fond, je n’apprécie guère l’idée de quota. Je préfère décider par moi-même qui j’engage en fonction des meilleures compétences disponibles. Mais pour faire réellement évoluer les choses, il m’a été nécessaire de fixer un objectif, comme on le fait avec les objectifs commerciaux, en termes d’augmentation des ventes ou de satisfaction des clients. Sans cela, rien ne se passe, on en reste au niveau des discours et des intentions. A compétences égales, nous avons donc promu les femmes. Nous les repérons en amont…
Karin Berney : Nous disposons en particulier de deux programmes, l’un de management des successions, l’autre de management des performances, qui nous permettent de repérer les potentiels et de les développer.
Souvent, au sein des directions, les postes clés comme les finances et ceux liés au cœur de l’activité de l’entreprise restent en main des hommes, les femmes occupant plutôt les fonctions de support. Qu’en est-il chez vous?
K. B. : Des dirigeantes sont à la tête de la direction médicale, de la direction des ventes et du marketing, de l’économie de la santé et des relations publiques, ainsi que des ressources humaines. Le cœur des activités d’Eli Lilly Suisse, soit la vente et le marketing, est entre les mains de deux femmes.
Eli Lilly est un groupe américain qui emploie 40 000 collaboratrices et collaborateurs à travers le monde, dont 200 en Suisse au sein de trois entités différentes. L’objectif de parité au sein du comité de direction est-il partagé au niveau du groupe ou est-il propre à Eli Lilly Suisse?
D. S. : Je travaille pour Eli Lilly depuis 1993, je suis donc plongé depuis 17 ans dans une culture d’entreprise qui stimule les talents féminins et maximise le potentiel de chacun et chacune. Je fais également partie d’un groupe de travail international sur la diversité. Nous nous réunissons régulièrement et le but est de stimuler la parité. D’ailleurs, à la fin 2009, il y avait en moyenne 42% de femmes dans les comités de direction parmi les 20 pays européens de taille moyenne. Mais il n’y a pas de quotas au sens strict fixés au niveau du groupe.
Plusieurs études montrent un lien entre la présence de femmes à la direction des entreprises et de meilleures performances financières. Est-ce cela qui vous guide?
D. S.: Je pense surtout à la guerre des talents que se livrent les compagnies et qui va s’amplifier au vu de la démographie. Nous recherchons beaucoup d’universitaires, des gens qui ont par exemple étudié la médecine, la pharmacie, la biologie, mais aussi HEC pour le domaine commercial et la vente, ou encore des profils issus des lettres. Or en Europe, dans les Universités, 50 à 60% des diplômés sont des femmes. Celles-ci sont clairement une source très importante de talents, dont on ne peut se priver pour relever les défis de demain. Il faut tout simplement aller chercher les compétences là où elles se trouvent.
Revenons aux chiffres. Constatez-vous une amélioration de vos performances économiques?
D. S. : En cinq ans, nous sommes passés de 80 à 110 millions de chiffre d’affaires et nous avons la meilleure productivité par employé des 25 pays européens dans lesquels Eli Lilly est implantée. Mais honnêtement, il est impossible de mesurer quel est l’impact sur ces chiffres de la présence de femmes au comité de direction. Ce qui est sûr en revanche, c’est que la dynamique de groupe et les interactions sont bien meilleures lorsque des femmes et des hommes siègent autour de la table. Pour avoir siégé dans des comités uniquement masculins, je peux le dire: lorsque tous ceux qui sont là possèdent les mêmes lentilles, c’est néfaste.
K. B. : De mon côté aussi, j’ai vécu un changement d’ambiance. Les séances sont beaucoup plus dynamiques, la qualité des échanges est bien meilleure. Il y a davantage d’ouverture et d’innovation lorsque les regards sont différents. Nous prenons aussi en compte les divers styles de personnalité. Au sein de la direction, il doit y avoir un mélange de personnalités créatives, analytiques, d’autres à la fibre plus sociale, d’autres encore qui sont davantage dans l’action et le mordant.
Nous avons également besoin de diversité culturelle. Nous engageons des collaborateurs de différents cantons pour avoir un éventail de regards.
Avez-vous une politique particulière en matière de conciliation entre vies professionnelle et privée?
K. B.: Nous sommes très ouverts sur la question de la conciliation, nous donnons par exemple la possibilité de prolonger un congé maternité ou de travailler à temps partiel. Je travaille moi-même à 90% et j’étais à 80% lorsque mes enfants étaient plus jeunes. A la direction, une autre femme travaille à 80%.
De manière générale, il est possible de moduler son temps de travail durant sa carrière. Par exemple, il est possible de travailler à 60 ou à 80% au retour d’un congé maternité, puis de repasser à 100% plus tard et de redescendre ensuite si on a un deuxième enfant. Nous voulons être flexibles, car refuser les aménagements, c’est risquer de perdre les talents. Je pense aussi qu’accepter un temps partiel permet de créer une loyauté et de fidéliser les collaborateurs. C’est une stratégie gagnante à long terme.
Les collaborateurs peuvent aussi pratiquer le télétravail, notamment les gens qui ne vivent pas à Genève. Ils viennent par exemple deux jours au siège et travaillent le reste de la semaine depuis chez eux.
Et au niveau salarial, qu’en est-il de l’égalité?
K. B.: Nous avons des grilles de salaires établies en fonction des profils, junior, confirmé ou senior. La progression se fait en fonction de la performance, aucun critère de genre n’entre là-dedans et il serait impossible d’avoir des inégalités. Les critères sont strictement les mêmes pour tout le monde.