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Plus un candidat vise un poste élevé, plus son prénom a de l’importance. Un prénom aux sonorités agréables peut être un élément de succès dans une carrière politique

Notre prénom influence-t-il notre trajectoire professionnelle? Le prénom a une importance croissante de nos jours. Comme l’observent à juste titre Philippe Besnard et Guy Desplanques, auteurs de l’ouvrage La cote des prénoms, «le prénom qui était la marque de l’intimité, à grand-peine celle de la camaraderie, sort de plus en plus de la sphère privée pour devenir une dénomination publique. A l’école, comme dans l’entreprise, se propage l’habitude américaine d’appeler par le prénom. Le prénom tend à devenir l’élément fixe et central de notre identité sociale.»
Or tous les prénoms ne sont pas également appréciés. Certains laissent indifférents, déplaisent, irritent ou encore suscitent les moqueries. D’autres nous prédisposent favorablement envers une personne et donnent envie de faire plus ample connaissance. En termes de carrière, un prénom «socialement désirable» peut s’avérer un avantage non négligeable, comme le démontrent de multiples études conduites en France et aux Etats-Unis.
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Dans son livre Les clés du destin, Jean-François Amadieu explique que plus un candidat vise un emploi qualifié et, a fortiori, un poste de cadre ou de dirigeant, plus les critères autres que les éléments objectifs du CV comme les diplômes ou l’expérience ont de l’importance. «C’est pourquoi on voit des candidats utiliser leur deuxième prénom ou un prénom d’usage, qui ne figure pas sur l’état civil, pour être moins en butte au rejet expéditif de leur candidature», analyse-t-il. Il cite l’exemple d’un jeune homme d’origine vietnamienne prénommé Truong-Tri qui, après avoir essuyé de multiples refus, a décidé d’utiliser Olivier dans son CV. «Il est aujourd’hui cadre dans une société de conseil et s’appelle toujours Olivier… les clients préfèrent!»
Accoler son deuxième prénom au premier pourrait également donner un coup de pouce à une candidature, comme le démontre l’exemple de Bruno, ingénieur diplômé de l’ESSEC, qui a postulé avec plus de succès à un emploi en se faisant appeler Bruno-Pierre.
Dans les professions des arts et du spectacle en particulier, le choix du prénom d’un chanteur ou d’un acteur s’apparente à une véritable décision de marketing. De cet acte stratégique découlera en effet la popularité de l’artiste. Ben Lyon, directeur de casting à la 20th Century Fox, en savait quelque chose lorsqu’il a rebaptisé Norma Jeane Baker Marylin Monroe, Marylin étant alors le prénom américain le plus populaire.
Selon une étude intitulée Beauty is only name deep: the effect of firstname on ratings of physical attraction, un prénom pourrait même être un obstacle à la perception de la beauté d’une personne. Ainsi, à beauté égale, la candidate sacrée reine de beauté lors d’un concours était dans 80% des cas celle dont le prénom était le plus apprécié. «Il semblerait que certaines caractéristiques sonores de nos prénoms conduisent à produire un effet sur les évaluations de l’attrait physique de la personne», observe Nicolas Guéguen dans son livre Psychologie des prénoms, pour mieux comprendre comment ils influencent notre vie.
Le fait d’avoir un prénom agréable faciliterait non seulement le pouvoir de séduction mais aussi celui de persuasion. Sur le campus d’une université américaine, de faux étudiants ont ainsi cherché à recueillir des signatures pour une pétition. Ceux dont le prénom était jugé «socialement désirable» par les Américains obtinrent plus de signatures que les autres.
Influencer le cours de l’histoire
La musicalité d’un prénom peut aller jusqu’à influencer le cours de l’histoire puisqu’elle affecte nos jugements et nos comportements, selon certains chercheurs. Dans son livre intitulé The political impact of name sounds, Grant W. Smith soutient que le prénom est un élément de succès dans une carrière politique. Ainsi, les prénoms aux sonorités agréables appartiennent majoritairement aux candidats victorieux des élections. Autrement dit, pour réussir en politique, il faut un nom qui sonne juste. Car même si rien ne vaut un bon programme, le vote des citoyens indécis peut être guidé par certaines associations émotives, rappelle Nicolas Guéguen.
Dans notre imaginaire, les prénoms sont connotés sur un plan social, culturel ou religieux
Autre facteur qui peut lourdement handicaper les trajectoires professionnelles: le stigmate social qui s’attache à certains prénoms. Dans le cadre d’une enquête intitulée Olivier, Gérard et Mohammed ont-ils les mêmes chances de faire carrière?, Jean-François Amadieu a recensé des centaines de prénoms d’hommes et de femmes nés entre 1930 et 1959 puis analysé leur devenir professionnel entre 1983 et 1989. L’étude a mis en évidence que les filles de cadres prénommées Elisabeth ou Louise avaient 50% de chances en plus de devenir cadres à leur tour que les filles au prénom populaire tel qu’Andrée ou Ginette. Pour les fils de cadres, l’écart était de près de 10%. Quant aux fils d’ouvriers, leurs chances d’une ascension sociale étaient doublées lorsque leurs prénoms étaient connotés bourgeois. S’agissant des prénoms maghrébins tels que Driss, Mohammed ou Djamila, ces derniers n’accédaient pas aux positions sociales élevées, et ce malgré l’appartenance de leurs parents à un milieu social favorisé. Enfin, 83% des fils d’ouvriers portant un prénom maghrébin demeuraient ouvriers comme leur père. «Dans notre imaginaire, les prénoms sont connotés sur un plan social, culturel ou religieux, assure Jean-François Amadieu. Ceux qui les portent bénéficieront du préjugé favorable qui va avec telle ou telle origine sociale ou telle provenance culturelle, ou bien à l’inverse, seront victimes des discriminations qui marquent.»
Parce qu’ils sont issus de la culture télévisuelle et largement plébiscités par les classes populaires, les prénoms d’origine anglo-américaine sont fréquemment victimes des préjugés que l’on accole à ces milieux. «L’attrait pour les prénoms anglo-américains est inversement proportionnel à la pratique effective de la langue anglaise», relève le démographe François Héran. Les Cindy, Dylan et Kevin subissent ainsi des discriminations dans l’accès à l’emploi, leur prénom étant assimilé par les recruteurs à un milieu social peu érudit.
Enfin, il est intéressant de noter que les discriminations liées au prénom commencent très tôt, sur les bancs de l’école. Dans une étude intitulée Name Stereotypes and Teachers’Expectations, publiée dans The Journal of Educational Psychology, deux chercheurs américains ont démontré que les enfants sont évalués différemment selon la manière dont leur prénom est perçu par leurs enseignants: les rédactions d’élèves de 10 ans ont été soumises à deux groupes indépendants de professeurs. Seul le prénom de l’élève, garçon ou fille, figurait sur la copie et il était, selon les cas, «socialement désirable» ou «indésirable». Résultat de l’étude? Lorsque les enseignants ont noté les devoirs, il est apparu qu’une même rédaction se voyait attribuer une note statistiquement supérieure lorsque son «rédacteur» portait un prénom attrayant. D’autres expériences ont montré que les enfants risquaient d’être punis ou récompensés différemment par leurs enseignants selon le prénom qu’ils portaient.
De quoi dépend la «désirabilité sociale» d’un prénom? Selon les sociologues, l’attraction repose en grande partie sur la familiarité. «A mesure qu’augmente leur emploi, qu’ils revêtent un caractère stable, rassurant et deviennent des classiques, les prénoms sont plus appréciés», analyse Nicolas Guéguen. Susan Fiske, auteur du livre Psychologie sociale, ajoute que ce qui est familier est par définition bon. Autrement dit, les stimuli auxquels nous sommes fréquemment exposés nous plaisent plus. On sera en outre plus tenté d’aider les personnes portant des prénoms communs et fédérateurs (Pierre, Paul, Jean), ou encore proches du nôtre, étant précisé que les lettres que nous préférons sont toujours celles contenues dans nos propres noms et prénoms.