Le harcèlement est une des formes de violence les plus courantes dans le monde scolaire. En Suisse, il toucherait 5 à 10% des élèves, selon une étude réalisée dans le canton du Valais. «C’est un peu moins que la moyenne internationale, qui se situe entre 5 et 15%, mais on peut dire que presque un élève par classe est concerné», souligne à cet égard Zoé Moody, collaboratrice de recherche au Centre interfacultaire en droits de l’enfant de l’Université de Genève.

Fait inquiétant, les statistiques suggèrent que moins de 15% des enfants signalent les actes de harcèlement scolaire. Ce chiffre s’explique cependant aisément. «Lorsque la parole se libère, elle n’est pas forcément protégée, note l’écrivaine Sonia Feertchak. Certains enseignants n’interviennent pas, car ils considèrent que les enfants harcelés ont les capacités pour se défendre seuls. Ceux-ci sont alors victimes deux fois: du harceleur et de la non-empathie des adultes.» Autrement dit, si les châtiments et les sévices n’ont plus cours dans les établissements scolaires, la violence des enseignants se situe de nos jours sur le terrain de l’abandon et de l’indifférence. Certaines situations de harcèlement en milieu scolaire sont si intenses et fréquentes que la victime n’y voit qu’une issue: le suicide.

Un témoignage: «Au début tout se passait bien, je ne parlais à personne, on me laissait tranquille...» 

Existe-il une raison pour laquelle un élève devient victime de harcèlement scolaire? Selon plusieurs experts en éducation, le harcèlement scolaire résulte notamment du rejet de la différence ainsi que de la stigmatisation de certaines caractéristiques telles que le fait d’appartenir à un groupe social minoritaire au sein de l’établissement, ou encore le fait d’être bègue, en surpoids, ou efféminé

Enseigner l’empathie

Comment prévenir ce fléau? Pour Sonia Feertchak, il est essentiel d’enseigner dans les salles de classe l’empathie. «Il y a un déficit d’empathie chez le harceleur. En lui faisant prendre conscience que ses actions ont des effets douloureux chez autrui, on peut l’amener peu à peu à changer.» Mais l’empathie peut-elle s’enseigner? Peu de temps après l’assassinat de Martin Luther King et s’inspirant de la prière sioux – «Ô grand esprit, préserve-moi de juger quiconque avant d’avoir parcouru une lieue dans ses mocassins» – Jane Elliott a souhaité que ses élèves âgés en moyenne de 8 ans fassent l’expérience de la discrimination au travers d’une expérience peu ordinaire.

Il y a un déficit d’empathie chez le harceleur. En lui faisant prendre conscience que ses actions ont des effets douloureux sur autrui, on peut l’amener peu à peu à changer

Sonia Feertchak, écrivaine

Avec l’accord des enfants, cette institutrice de l’Iowa a distingué dans sa classe deux groupes: l’un «aux yeux bleus», l’autre «aux yeux marron». «Ce serait intéressant, leur a-t-elle dit, de juger les gens d’après la couleur de leurs yeux. Comme c’est moi le professeur et que j’ai les yeux bleus, je pense que ceux qui ont des yeux bleus devraient être désignés le premier jour comme étant supérieurs à ceux qui ont des yeux marron. Les yeux bleus sont plus intelligents et plus propres que les yeux marron, raison pour laquelle ces derniers ne seront pas autorisés à boire à la fontaine d’eau. Ils devront prendre des gobelets en carton. Dans la cour de récréation, les yeux bleus ne doivent plus jouer avec les enfants aux yeux marron. Pour qu’ils puissent être distingués de loin, les yeux marron porteront un tour de cou brun.»

Très rapidement, Jane Elliott a constaté que les yeux bleus, soudainement habités par un sentiment de supériorité, devenaient dominants et méprisants à l’égard de leurs camarades aux yeux marron, lesquels avaient adopté une attitude de repli, résignée et triste. «En l’espace de quinze minutes, dans cette classe où régnait l’amitié, des enfants merveilleux, coopératifs, et attentionnés se sont transformés en enfants vicieux, méchants et discriminants.»

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Le lendemain, elle décide d’inverser les rôles: les yeux marron se voient accorder tous les privilèges. Fait intéressant, elle n’observe pas une attitude de supériorité aussi marquée de la part du groupe aux yeux marron ayant déjà parcouru «une lieue dans les mocassins» de leurs camarades. Interrogé quatorze ans plus tard sur les leçons qu’il avait tirées de cette expérience, un ancien élève a confié avoir conservé le «col de la honte toute sa vie», comme une piqûre de rappel. A noter qu’une école new-yorkaise a tenté en 2015 avec succès la même expérience, en subdivisant les enfants en «races».

La Finlande, un exemple pour le monde

Outre l’empathie, il est essentiel d’enseigner aux enfants témoins d’insultes, d’humiliations, de menaces, ou encore de moqueries à ne pas répondre par des rires à la situation. En Finlande, KiVa, un programme de lutte contre le harcèlement en milieu scolaire mis au point à l’Université de Turku, ne se concentre ainsi pas exclusivement sur l’affrontement entre le harceleur et sa victime. Il inclut également le spectateur, qui participe indirectement à l’abus. Au travers de cours, de jeux vidéo et de débats, les écoliers âgés de 7 ans et plus sont invités à détecter les différentes modalités du harcèlement et surtout à ne pas soutenir, de manière active ou passive, ce type de comportement.

Ces mesures sont renforcées par des instructions aux enseignants, une surveillance pendant les récréations et des accompagnements dans les travaux réalisés en groupe. Enfin, un médiateur est chargé d’enquêter sur tous les cas de violences psychologiques, physiques, sexuelles ou matérielles signalés. Suite à ces mesures, le harcèlement scolaire a diminué de 80% dans les écoles finlandaises. En définitive et pour paraphraser l’homme politique et philosophe irlandais Edmund Burke, il semblerait que la seule chose qui permette au harcèlement de prospérer dans les établissements scolaires est l’inaction.