De la restauration au supermarché: quand le virus force à changer d’emploi
Métiers
A cause du coronavirus, nombre de travailleurs, notamment dans le domaine de l’événementiel ou de la restauration, se voient contraints de changer d’emploi temporairement. Une solution qui permet de conserver un salaire et de faire de nouvelles expériences, mais qui n’est pas sans difficultés

Jusqu’en février, Maxime Billen, 25 ans, était directeur des opérations dans le milieu des start-up. Mais depuis, il a revêtu le costume de speaker lors d’un événement, de promoteur de vins dans une grande surface, et, plus récemment, d’agent d'accueil chez Denner.
Si le jeune homme, formé dans l’hôtellerie, prévoyait bien de changer d’emploi, il espérait continuer à travailler dans le domaine des technologies. Mais le coronavirus a modifié ses plans: «J’ai dû mettre en pause toutes mes demandes, mes entretiens d’embauche ont été annulés.»
Maxime Billen a donc utilisé Coople, plateforme suisse d’emploi spécialisée dans les contrats flexibles, qui propose des missions allant de une heure à une année. La société travaille avec 18 000 entreprises clientes et 300 000 collaborateurs en recherche d’emploi en Suisse.
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«Nous avons récemment reçu une forte demande de main-d’œuvre de la part des supermarchés, pour la caisse, le réapprovisionnement des marchandises et du personnel de sécurité», raconte Simon Vogel, directeur romand de Coople. La demande vient aussi des entreprises de distribution, à la cherche de livreurs ou d’employés pour trier les colis, qui arrivent en masse. Coople collabore également avec HotellerieSuisse et le monde agricole pour assurer de la main-d’œuvre dans les champs.
De l’horlogerie à la microtechnique
Ce transfert de compétences se fait aussi depuis et vers d’autres secteurs. Le cabinet de recrutement Manpower Suisse place ainsi des opérateurs en horlogerie dans des entreprises qui fabriquent des petits moteurs pour le médical, notamment pour les respirateurs. «Des esthéticiennes ou des coiffeuses qui ne sont habituellement pas dans les métiers que nous recrutons se tournent vers nous, raconte aussi Séverine Liardon, chargée de communication pour ManpowerGroup Suisse. Leur habileté en font des candidates intéressantes pour travailler par exemple sur des pièces électroniques».
Car si le télétravail est une solution pour nombre de travailleurs suisses et que d’autres bénéficient d’aides financières, ce n’est pas le cas de tous. Dans les domaines de la culture, de la restauration ou de l’événementiel notamment, certains se retrouvent contraints d’aller trouver un emploi ailleurs, dans les secteurs où la demande est forte. «Un chef de restaurant à Genève a par exemple trouvé du travail comme logisticien dans un supermarché avec notre plateforme», rapporte Simon Vogel.
Nicky Le Feuvre, professeure de sociologie à l’Université de Lausanne, rappelle cependant que de telles transitions professionnelles révèlent les difficultés particulières des indépendants, qui représentent 12% de la population active, ou encore des salariés précaires, qui enchaînent les postes temporaires. «La plupart des emplois en Suisse ne disparaissent pas en trois semaines.»
Debout toute la journée
Thomas Pelichet, cuisinier de 34 ans, travaillait en effet déjà par intérim. Il est passé de cuisiner dans des restaurants, notamment d’entreprise, à un poste de manutentionnaire chez Aldi, pour deux semaines. Avec la fermeture des restaurants, il lui est devenu impossible de trouver du travail dans son secteur. «Maintenant, je travaille pour Aldi sur appel», raconte-t-il. Un nouvel emploi qu’il voit plutôt d’un bon œil, même si le salaire est moins bon que dans sa branche. «Je m’adapte bien et je me sens chanceux de pouvoir continuer à travailler, cela me permet de continuer à payer mes charges. Et puis je me sens utile d’être présent en première ligne pendant cette crise.»
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Exercer comme agent de sécurité s’avère aussi une expérience bénéfique pour Maxime Billen: «Ça me permet de m’ouvrir et de me rendre compte de ce que vivent d’autres dans leurs métiers. Travailler dans un supermarché, debout toute la journée, est beaucoup plus difficile que je le pensais, moi qui étais habitué à être assis devant un bureau.» Une prise de conscience qui est aussi celle d’une bonne partie de la population, qui prend conscience de sa dépendance à ces métiers. Mais si Nicky Le Feuvre pense que la crise pourrait amener à une reconnaissance plus durable des professions de la santé, elle y croit moins pour celles du commerce de proximité.
Comme l’a réalisé Maxime Billen, ces professions comportent des risques pour la santé, encore renforcés par le coronavirus. Des risques psychologiques existent aussi: «Passer d’un emploi avec lequel on s’identifie parfaitement à un autre, souvent moins valorisé, peut créer une perte de sens et d’identité», craint Nicky Le Feuvre.
De taxis à livreurs
Mais le passage d’une activité professionnelle à une autre se fait parfois naturellement. C’est le cas à TaxiBike, à Genève. Ses employés (deux à plein temps, trois à temps partiel, et davantage pendant l’été) proposaient des services de vélo-taxi, mais aussi des balades thématiques en tuk-tuk, le tout 100% électrique, pour particuliers et entreprises.
«Tout a été annulé, déplore Sébastien Roevens, cofondateur. Nous proposons donc de faire et de livrer leurs courses à des personnes isolées ou âgées. Ces livraisons sont notre seul moyen de survivre.» Une adaptation qui ne pourra probablement pas être une solution à long terme, précise pourtant le cofondateur: «Comme il y a beaucoup de solidarité entre les gens, ce qui est par ailleurs génial, on ne pense pas forcément à nous pour des livraisons.»
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Le quotidien des employés de TaxiBike n’a pas énormément changé, outre le fait qu’ils travaillent désormais uniquement sur appel. Mais comme ils faisaient déjà des livraisons pour des restaurants, leurs véhicules sont équipés pour accueillir soit des personnes, soit des marchandises.
De ces changements d’emploi naissent cependant des idées. TaxiBike, qui observe pendant cette crise le fort isolement que vit une partie de la population, est en train de créer une association pour offrir, à l’avenir, des balades aux personnes qui vivent en EMS, entre autres. Maxime Billen a, quant à lui, commencé à développer un projet d’entrepreneuriat en parallèle de ses missions chez Denner. Si son projet voit le jour, une chose est sûre: ce sera après la crise.