SOUTIEN
Une étude montre que les activités de conseil en management se sont développées pour les grandes compagnies. Cela peut poser un certain nombre de problèmes lorsque le client est une petite entreprise qui a besoin de solutions plus personnalisées.
«La consultation en management s'est toujours développée pour et autour des grandes firmes.» A partir de ce constat né de l'analyse historique du phénomène, deux chercheurs ont mis en évidence l'écart qui peut séparer le consultant de la petite entreprise lorsqu'il travaille pour elle et, par voie de conséquence, les problèmes que cela peut soulever. Dans leur étude qui vient de paraître*, Sam Blili, directeur de l'Institut de l'entreprise et professeur à l'Université de Neuchâtel, ainsi que Louis Raymond, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la performance des entreprises et professeur à l'Université de Québec, proposent aussi des pistes pour des conseils en management plus adaptés aux PME.
L'enjeu est de taille car, parfois, les décisions prises sur la base des solutions préconisées par les consultants peuvent avoir un impact énorme sur l'avenir de l'entreprise et de ses employés: qu'il s'agisse par exemple de se diversifier ou au contraire de recentrer ses activités, de développer tel marché et de mettre l'accent sur telle compétence au lieu de telle autre.
Le consulting n'est pas un phénomène nouveau. Il est issu de la révolution industrielle, dans les pays anglo-saxons. Mais le conseil en management de l'organisation et en stratégie a connu un développement «phénoménal» ces cinquante dernières années, entraîné notamment par les grands cabinets d'audit qui, en plus de la certification comptable, se sont diversifiés en apportant des conseils très rémunérateurs.
Le recours aux conseils de la part des PME est plus récent, mais bien présent. «Longtemps, elles ont été protégées par un avantage de proximité, sous forme de barrière tarifaire ou non tarifaire et parce que l'on recourt tout simplement plus facilement à ceux que l'on connaît, explique Sam Blili. Or Internet, le développement du commerce électronique, la transparence des offres, la globalisation des échanges, tout cela a changé la donne. Les PME sont déstabilisées et fragilisées. Il leur faut réinventer leur manière de faire, professionnaliser leur gestion. Leur centre de gravité se déplace de la production vers les fonctions managériales et marketing.»
Dans un marché globalisé, les questions de survie sont plus présentes. Les besoins en savoir-faire et en compétences augmentent, mais les PME n'ont pas autant de personnel à disposition qu'une grande compagnie. Elles ont aussi moins d'argent pour s'offrir les meilleurs, moins de temps pour gérer la relation avec les consultants. Le directeur d'une PME, qui en est souvent le propriétaire, n'a pas non plus forcément le recul nécessaire pour gérer les recommandations des consultants, tandis qu'une grande firme va mobiliser un comité de spécialistes pour valoriser le travail de conseil.
Pour travailler avec les PME, l'approche du consultant se doit donc d'être différente. Elle ne peut pas être aussi mécaniste ou basée sur une logique de système que ce qui se fait avec les grandes organisations. Il s'agit de prendre en compte les caractéristiques mêmes de la PME pour ne pas «projeter» sur elle les problèmes de la grande entreprise, estiment Sam Blili et Louis Raymond. «Comprendre la PME, souligne l'étude, c'est tout d'abord identifier le profil et comprendre les motivations de son propriétaire dirigeant et éventuellement ceux de quelques individus clés au sein de l'entreprise.»
La définition du «problème» est également différente, dans un «contexte de centralisation de la gestion, de faible degré de spécialisation, de stratégie intuitive ou peu formalisée et d'absence ou de quasi-absence de systèmes et d'outils de gestion permettant d'aborder les problèmes complexes». Selon les auteurs, certains points devraient être considérés comme des caractéristiques – la capacité financière limitée, la dépendance envers les fournisseurs, par exemple – et non comme des problèmes.
Conclusion: un changement du point de vue du consultant quant à la perception de l'organisation et à la définition du problème est fondamental pour adopter une approche de consultation adéquate, selon les chercheurs. Cela débouche notamment sur cette recommandation: la nécessité d'une conception plus personnalisée des services (les solutions clés en main ne fonctionnent plus) et d'une gestion plus participative des mandats.
Par ailleurs, au sein d'une petite PME, les dimensions humaines sont plus saillantes et doivent être davantage prises en compte. Si l'entreprise est d'accord d'appliquer la stratégie proposée, il y a ensuite moins de gens à convaincre, moins de coalition aux intérêts divergents à gérer. Mais, d'un autre côté, les «limites personnelles, psychologiques, et professionnelles du dirigeant auront un plus fort impact que dans une grande entreprise».
Sam Blili met également le doigt sur un autre problème: les liens que nouent les consultants et leurs commanditaires sont complexes et parfois ambigus, puisqu'ils sont empreints d'intérêts commerciaux. Et bien que les clients attendent parfois des miracles de la part des consultants, leur profession suscite en même temps de la méfiance. Elle n'est pas réglementée et cette discipline n'a ni normes ni standards. «N'importe qui peut se parer du titre de consultant et offrir des services de conseil en management», notent les auteurs.
Pour améliorer la situation, il est donc capital d'organiser la profession: «Elle doit se professionnaliser. Il faut établir des barrières à l'entrée, rédiger des codes de déontologie et former les gens. De nombreux cadres de l'industrie deviennent consultants, alors que ce sont des métiers différents, lance Sam Blili. J'aime faire la comparaison avec les médecins qui, eux, sont tous formés au diagnostic et à traiter des pathologies!»
La formation d'ailleurs pourrait aussi toucher les entreprises clientes: il faut savoir gérer cette relation d'affaires particulière, savoir lancer un appel d'offres, analyser des devis, participer ensuite à la rédaction d'un contrat de consulting qui puisse protéger les deux parties en cas de problèmes. Sam Blili ne jette pas la pierre aux consultants: chacun doit balayer devant sa porte pour pouvoir construire des relations de travail de qualité, permettant in fine aux PME de conserver leurs capacités de création et d'innovation.
* «L'écart entre le consultant et la PME: analyse et perspectives», Louis Raymond et Sam Blili, Cahier de recherche en marketing et management (CR-MM-2003-04), septembre 2003.